Le dossier diffusé hier soir par la première chaîne de télévision tunisienne sur l'ancien président rappelle à bien des égards ce fameux reportage filmé en compagnie des membres de "la commission d'enquête sur la corruption" dans l'un des palais présidentiels et diffusé par la télévision le 19 février dernier (voir mon article). Le trait commun entre les deux émissions réside dans le sensationnalisme dans lequel certains journaux tristement connus étaient passés maîtres bien longtemps avant janvier 2011. Dans les deux cas, le premier objectif recherché est clairement celui d'émouvoir, de choquer, d'épater, de scandaliser, bref d'en mettre plein les yeux aux naïfs et peut-être même aux moins naïfs, de manière à entretenir la double illusion d'une information enfin libérée et d'un changement radical de régime. Est-il un meilleur moyen pour faire passer de telles illusions, finalement à peu de frais, que de tirer sur un mort, de pointer un doigt accusateur sur celui dont la culpabilité est avérée et étayée depuis belle lurette, de dénoncer celui qui s'est condamné lui-même en prenant ses jambes à son cou ? Qui des tunisiens ne sait pas aujourd'hui qui est Ben Ali, comment il a accédé au pouvoir et comment il a gouverné le pays au cours des 23 ans passés ? Même les moins informés, les moins politisés qui ont pu rester dans l'ignorance la plus totale à ce sujet jusqu'aux événements récents, aussi improbable que soit leur existence et aussi rares qu'ils puissent être, auront été généreusement servis par tous les moyens d'information et de communication déchainés depuis le 14 janvier pour profiter à qui mieux mieux de l'aubaine offerte. Présenter l'ex-président comme un satyre dépravé, trafiquant de drogue, agent du Mossad n'ajoute rien à son véritable passif et n'a pour effet que de faire douter un téléspectateur moyennement averti du sérieux de "l'enquête". Invoquer comme sources des documents "top secret" de l'état tunisien, voire même de la CIA (Sic !) ne mérite, au mieux, qu'un sourire désabusé et apitoyé sur le manque de métier de celui qui a concocté cette émission. Prendre d'anciens collaborateurs du dictateur déchu dont on ne peut même pas dire que c'étaient "des technocrates aux mains propres et aux idées neutres" finit par enlever le moindre soupçon de crédit à l'entreprise.
Il se serait agi de l'un de ses torchons qui ne sont que des parents très lointains des tabloids bien connus en Europe ou même d'une certaine chaine de télévision privée, on se serait dit que "l'enquête en question" n'a d'autre ambition que d'augmenter son audience pour mieux vendre, qu'il ne s'agit en somme que d'une "politique" d'épicier de bas étage. Mais, il ne peut être question de simples visées commerciales servies par des moyens grossièrement primitifs lorsque la chaine qui a produit et diffusé cette perle d'émission n'est autre que la première chaine de la télévision publique. Or, éblouir, c'est aveugler. Mettre autant de zèle à accabler le président déchu et à multiplier ses tares et ses torts, comme s'il n'en avait pas déjà assez à sa charge, ne peut servir qu'une seule autre cause quand la finalité n'est pas purement mercantile. C'est celle de mieux cacher tout le reste et tous les autres. Ceux qui ne sont pas encore morts (physiquement ou symboliquement) ou mis définitivement hors d'état de nuire. Ceux qui sont là, bien vivants, bien portants, libres de leurs mouvements (y compris ceux qui sont provisoirement emprisonnés et poursuivis en justice) prêts à reprendre du service s'ils l'ont jamais quitté. Ceux qui ont rendu ces abus possibles et y ont pris une part active tout en commettant les leurs propres. Ceux qui ont gouverné le pays avec monsieur Ben Ali (aucun homme si fort soit-il, si futé, si démoniaque, ne peut gouverner un peuple, l'assujettir et le piller à lui seul), qui nous gouvernent probablement encore et qui nous gouverneront demain peut-être.
Enfin, il n'y a de plus scandaleux que la biographie de monsieur Ben Ali que la mise en scène dont la télévision tunisienne nous a gratifiés à travers son dossier-événement. Et il n'y a de plus scandaleux et de plus odieux que la biographie et sa mise en scène télévisuelle que le procès du neveu benjamin le lendemain pour... consommation de drogue ! Comme si le ridicule de cette mascarade juridique ne suffisait pas, à en croire certaines sources, le juge chargé de ce procès serait celui-là même qui a eu la charge de cette autre parodie de procès concernant le yacht volé par ce charmant parent en France...
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