Au fil des jours de mon dernier séjour au pays, j'ai accumulé les scènes et les anecdotes qui devaient alimenter une ou plusieurs chroniques sur ce blog à la rentrée (j'ai même pris des notes), toutes plus dégoutantes, plus choquantes, plus révoltantes les unes que les autres. Je me voyais redoubler de dépit et de rage impuissante de jour en jour. Rien n'allait, rien n'avait vraiment changé, il n'y avait vraiment pas de quoi jubiler et encore moins fanfaronner. J'ai même envisagé dans un élan de dignité nationale de passer au dialectal, le temps de vider mon sac de toutes les pourritures qui s'y étaient entassées, histoire de laver le linge sale en famille et de ne pas l'exposer aux étrangers...
Or, cela fait une bonne dizaine de jours depuis que je suis rentré et je n'ai rien écrit de ce que j'avais prévu de relater/dénoncer. Il est vrai que j'ai été hyper occupé les cinq premiers jours à corriger les épreuves d'un livre à paraître (aucun rapport avec la Tunisie et ce qui s'y est passé). Mais, depuis, j'ai eu tout le loisir de le faire et je n'en fis rien. Aujourd'hui, ma décision est prise après la lecture de ce billet (en arabe dialectal tunisien, même s'il n'y est question d'aucun linge sale) d'une consœur. Je ne dirai rien de tout ce qui m'a déplu, déçu, mis hors de mois, au cours du mois passé chez-moi parmi les miens simplement parce que je ne vaux guère mieux.
Non, rien ne va chez-nous. Rien n'a changé. C'est toujours la même médiocrité, la même mesquinerie, la mêmes incurie, la même méchanceté, la même mentalité, les mêmes esprits tordus, du garçon de café au haut responsable, en passant par le restaurateur, l'hôtelier, l'agent immobilier, le policier, le chef d'escale de la compagnie aérienne ou encore l'employé de la compagnie de téléphonie mobile, y compris le petit opérateur qui vous répond au téléphone et vous dit ne pas avoir de responsable et le responsable lui-même... Car, c'est dans les esprits que tout se passe et non dans les bureaux de vote ou sur les plateaux de télévision. Rien ne va plus (déjà !). Tout n'est que morosité et indifférence entre monsieur Sebsi et les siens qui sont toujours aussi imperturbables, les instances et autres autorités et commissions, toutes grippées, toutes aussi inutiles les unes que les autres, l'évasion couverte de bienveillance de la madame Claude de chez-nous (la vraie, l'originale n'ayant pas autant de mal à se reprocher), la relaxe de Monsieur Sale, l'acquittement du Masrour de Ben Ali, les procès toujours aussi kafkaïens...
Oui, ceux qui sont sortis de leur coquilles hier, ceux qui ont exorcisé leurs peurs, oublié leur peti ego, ceux qui ont manifesté, ceux qui ont risqué, ceux qui ont bravé l'ogre, qui ont aidé, soutenu, secouru, qui ont soudain découvert leur humanité semblent s'être déjà rangé aujourd'hui. Ils ont peut-être oublié cet instant rare de lucidité, de grandeur et de générosité, tant ils ne donnent plus de la voix, ils ne font rien pour arrêter le reflux de la saleté, de la pourriture, de l'abus, de l'hypocrisie, de la débrouille, tous refoulés l'espace de quelques jours ou de quelques semaines.
Certes. Mais, je 'ai le droit de faire aucun reproche à ces gens. Je n'ai surtout pas à leur donner des leçons parce que je n'ai rien fait de bon moi-même. Ni avant ni après. Et je n'ai même pas leurs excuses. Je n'ai pas à expliquer à mon enfant pourquoi il doit aller nu-pieds à son école ou pourquoi il ne peut pas y aller du tout ni à me soucier du prix du café et du paquet de cigarettes ni à me préoccuper de mes fins de moi qui commencent le cinquième jour de ce même mois ni encore d'être عقوبة ربّي, un ignorant bernable et manipulable à volonté. Non, je n'ai aucune de ces excuses. Pourtant, je n'ai rien fait qui vaille d'être brandi. Aucun acte de bravoure, aucun élan de générosité dont je puisse me prévaloir, que je puisse un jour raconter à mes petits-enfants. Quand je suis rentré, je n'ai fait que voir et revoir famille et amis. Je n'ai pas consacré un seul jour à la vie publique. C'est à peine si j'ai regardé les infos à la télé de temps en temps, une fois par semaine. Depuis le 13 janvier, depuis toujours, je n'ai rien fait d'autre qu'écrire avec plus ou moins d'assiduité, plus ou moins de pertinence, plus ou moins de véhémence dans ce cahier virtuel qui n'intéresse personne, des textes que même ma fille adolescente qui a fait le gros de sa scolarité dans des écoles françaises déclare incompréhensibles. Et aujourd'hui, à peine sept mois plus tard, alors que je n'ai rien fait d'autre et que cet acte, écrire dans un blog, surtout comme mon écriture et mon blog à moi, est ce qui illustre le mieux l'expression "masturbation intellectuelle", je suis déjà las d'écrire (d'où la référence à ce beau texte de Wallada).
Alors, autant se taire. Cela a au moins le mérite de la dignité, ou, à défaut, celui de la décence et, comme le dit un ami qui visite ce blog de temps en temps, seul le silence est.