Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Thursday, March 15, 2012

Hommage posthume,
Hédi Guella nous a quittés

Non, ce n'est pas une rétractation. Pas si vite ! D'ailleurs, l'épithète dans le titre a une double significations. Il s'agit seulement d'accompagner le départ d'un ami et d'un artiste, un personnage de salut public. Un dernier devoir d'amitié et de citoyenneté contre l'indifférence et l'oubli.
 J'aurais voulu avoir le don qu'il fallait pour lui offrir une élégie comme celle-ci qu'il composa à la mémoire du poète et chanteur populair Jdira

Hédi Guella, chanteur, compositeur et parolier tunisien s'est éteint hier après avoir lutté bravement contre un cancer des poumons pendant une année. Hédi n'était certes pas une personne exemplaire. Qui d'entre nous peut prétendre l'être ? Mais il était un vrai artiste. Un authentique génie de création et de sensibilité comme il y en a eu rarement sur cette terre, notamment au cours des dernières décennies. Pendant près de vingt ans, il était devenu la voix de la dissidence en exil. C'est à cette époque, vers la fin des années soixante-dix, que je l'ai d'abord connu à travers sa musique, à peu près en même temps que je découvrais Cheikh Imam. J'étais encore étudiant. Si pour les prêtres de la révolution qui n'allait jamais se faire, tout l'intérêt résidait dans les textes de Mahmûd Darwîsh, Tawfiq Ziyâd et Mûldi Zalîla que Hédi chantait, la musique n'étant "qu'un support" (véhicule aurait certainement mieux servi leur intention) pour la bonne parole révolutionnaire, ce qui retenait mon attention chez-lui comme chez son compère égyptien et qui en faisait de vrais artistes à mes yeux, à la différence de tant d'autres travailleurs/combattants de la chanson "engagée" par ailleurs respectables, c'était la qualité de la musique même et du chant qui élevait ses chansons (comme celles d'Imam) au rang d'une véritable création artistique et cette créativité, ce souffle authentique, qui les inscrivait dans une tradition musicale au génie bien enraciné, même si elle était déjà en perdition.
Lorsque le gouvernement Mzali arriva dans le sillage des événements de Gafsa avec sa "politique d'ouverture" qui annonçait monts et merveilles mais qui allait vite tourner court avec la mascarade des élections de 1981, le seul fait à retenir, à part un retour contrôlé et sous haute surveillance à la légitimité syndicale après la relaxe des membres de la direction incarcérés en 1978 et le bref foisonnement de quelques titres d'une presse indépendante, était l'organisation au cours de l'été 1980 d'une série de concerts publics de Cheikh Imam et de Hédi Guella qui avait enfin pu rentrer au pays sans être inquiété. A l'époque, j'étais encore étudiant et je vivais à Sousse. Si le cheikh était bien venu se produire à Sousse, le concert le plus proche de Hédi avait lieu à Monastir. Or, si le déplacement ne posait aucun problème à l'aller, le retour était bien plus problématique car il n'y avait plus le moindre moyen de transport entre les deux villes à partir d'une certaine heure. Je m'y suis rendu en compagnie d'un ami totalement aveugle et nous avons décidé de rentrer à pieds (nous avons finalement été ramassés par un routier de la nuit à mi-distance). Cet été-là, Hédi avait produit ses meilleures prestations en public. L'accompagnement de deux musiciens talentueux, un violoniste iranien, Mahmûd Tabrîzî Zâdeh (lui-même décédé il y a plusieurs années) et d'un cithariste arménien, Andon Aram Kerovpian (que j'ai eu le plaisir de rencontrer il y a quelques années à Paris) avait conféré une tout autre dimension à sa musique et en avait révélé la beauté et le génie.

Hédi chantant 'abu-l-qâsim Ash-shâbbi lors de l'un des concerts de 1980

Durant l'entracte de ce fameux concert de Monastir, Hédi présenta au public venu pour lui un jeune musicien tunisien inconnu qu'il disait prometteur, un certain Anouar Brahem. Sa performance était bien pâle à côté de celle de son hôte. Le cithariste me dira en 2007 : "Oui, je me souviens de lui. Il faisait quelque chose avec le luthe, mais on ne compranait pas trop quoi"...  Aujourd'hui, le musicien en question est devenu un grand nom de Tunisie, de France et de Navarre, alors que Hédi nous a quitté dans l'indifférence quasi-générale. Hédi avait beaucoup de talent, mais si peu d'entregent !
Dix ans plus tard, je rencontrai Hédi dans le cadre professionnel (il travaillait comme traducteur-interprète comme moi) et pus enfin faire sa connaissance. Très vite on sympathisa et notre passion commune pour la bonne musique arabe, lui en tant que créateur, moi, simple consommateur, nous unit dans une amitié qui ne devait plus se défaire en dépit de quelques désaccords et de moments d'absence parfois assez longs, inévitables entre un artiste pur au talent immense, à l'esprit vagabond et à l'âme réfractaire aux moules de la bienséance et un esprit carré sans génie et sans oxygène voué au culte du bien être et du bien faire. Mon départ à l'étranger n'allait pas arranger les choses. Je l'ai pourtant retrouvé de temps en temps et l'on a passé encore quelques moments tantôt de folie tantôt de sereine compagnie, en 2006 à Madrid, en 2009 à Genève et en 2010 à Sousse. A chaque fois, comme au bon vieux temps, je ne manquais jamais de lui seriner les préceptes de ma rationalité bien pensante entremêlée de réprimandes et de doctes conseils, entêté dans ma conviction qu'il méritait mieux de lui-même et des autres et qu'il avait fait un beau gâchis d'autant de talent.
Si la dernière des maladies qui a fini par l'emporter n'a mis qu'une année à venir à bout de sa résistance, la maladie l'a empoigné pour ne plus le lâcher tout à fait tout au long de la dernière décennie. Depuis, sa vie n'a été qu'une succession d'accalmies et de rechutes. Mais la dernière année aura été exceptionnellement dure à supporter pour lui et pour les siens, pas tellement à cause des affres de la vilaine maladie que tout un chacun connaît désormais, qui de sa propre expérience, qui à travers celle d'un être cher, mais surtout parce qu'elle a en plus décidé de le priver de sa voix, lui le chanteur et l'interprète de conférence ! Pourtant, il gardait toujours le moral. Même au plus fort de son cancer (je n'ai pas pu le rencontrer au cours des derniers dix-huit mois, mais on a gardé le contact, par téléphone et par courriel), il avait foi en la science et en la compétence de ses médecins. Il était sûr de sa guérison (au moins, il le donnait à croire) et parlait d'avenir. Ne faisait-il que donner le change ? Plus personne ne le saura. Aujourd'hui, il nous a quittés sans prendre congé, fidèle à son habitude. Peut-être est-ce mieux ainsi si plus d'années de vie n'allaient être qu'une prolongation du calvaire qu'il a enduré depuis le printemps dernier.
Même si je ne suis pas au courant des détails, je crois savoir que les autorités de la transition n'ont pas manqué de l'aider durant sa maladie. Néanmoins, je suis presque sûr que le soutien dont il a pu bénéficier, il le doit plus à ses relations personnelles (il connaissait tellement de monde dont des personnalités de notoriété publique en dehors de nos frontières et des compatriotes qui sont parfois devenus des personnages haut placés) qu'au fruit d'une volonté politique et d'un choix non personnalisé.
Son répertoire musical quantitativement non négligeable et dont la qualité artistique est certaine n'a jamais fait l'objet de beaucoup d'attention de la part de quiconque à commencer par lui-même. Il fut très peu publié (les seules publications dont je sois au courant sont le disque comportant une demi douzaine de chansons enregistrées en France au milieu des années 70 et deux cassettes parues au début des années 80 sous un label éphémère et qui reprenaient les principaux titres qu'il a chantés lors de sa tournée au cours de l'été 1980). Aujourd'hui qu'il n'est plus de ce monde, la moindre ds choses qu'on puisse faire pour honorer sa mémoire et lui témoigner notre fidélité, à part celle d'apporter l'aide qu'on peut à sa famille, serait de veiller à rassembler sa production, aujourd'hui éparpillée entre les membres de sa famille et ses amis, et de la publier.

Cette chanson dont il est l'auteur compositeur interprète aurait pu servir de signe de ralliement aux jeunes qui ont fait l'événement de 2011 et qui rêvaient et rêvent peut-être encore d'une Tunisie meilleure

Adieu ami ! Chaque fois que je lèverai un verre ou que j'écouterai un bon morceau, je penserai à toi, jusqu'à ce que vienne mon tour pour quitter ce monde.

Composée sur un texte de Mahmûd Darwîsh dédié à sa sœur, cette chanson est probablement sa composition la plus accomplie qui révèle l'étendue de son talent compositionnel et de sa culture musicale comme elle laisse deviner certaines de ses sources d'inspiration, notamment la musique de Sunbâti (s'il avait été encore là, il aurait insisté pour que j'ajoute "et Zakariyâ")

Wednesday, March 7, 2012

Un mot, une fin

S'il est vrai que, comme j'ai pu parfois le laisser entendre et que tout lecteur attentif de ce blog n'aura pas manqué de le comprendre, je suis de nature à me méfier des articles définis en général, il est des contextes où, au delà de cette simple méfiance, je répugne totalement à les utiliser et celui-ci en est un. Néanmoins, je crains que cette aventure "blogosphérique" ne soit arrivée à son terme. Lancé une heure ou deux après le fameux discours de Ben Ali dans la soirée du 13 janvier 2011 (j'avais juste pris le temps de voir l'émission concoctée à la hâte par Sami El-fehri) et quelques heures seulement avant sa fuite, ce blog est né d'un coup de tête et était d'abord conçu comme un coup de gueule après cinquante ans de silence et de vie tranquille d'un citoyen totalement rangé ou presque (en tout cas qui n'a jamais pris le parti de s'opposer publiquement au régime en place en actes ou en paroles, alors qu'il avait toutes les raisons éthiques et philosophiques de le faire). A ce moment-là, je n'étais même pas sûr de la chute de Ben Ali, sans parler du fait que telle chute pût être si imminente. J'avais seulement compris que, pour la première fois depuis 33 ans (en novembre 77-janvier 78, j'avais à peine vingt ans), j'étais en train d'assister à un soulèvement populaire général, et qu'à la différence des précédents, celui-là était en train d'ébranler les bases du régime en place et d'affoler ses tenants. Les expériences passées incitaient à modérer les attentes et à donner cher de la peau de ces requins. Mais une opportunité historique s'offrait pour voir autre chose et les gens étaient en train de payer le prix fort pour en faire une réalité. D'où mon choix de rompre le silence et de prendre cette part que je savais trop modeste à ce qui se passait. Mon action était condamnée à être limitée dans sa teneur et sa portée comme je n'ai pas manqué de le souligner de prime abord. Il s'agissait d'abord de m'exprimer, en témoin attentif et concerné mais distant, sur ce qui se passait. Or, témoigner n'est pas participer. D'ailleurs, comment peut-on participer quand on est ailleurs ? Même s'il fallait s'en tenir au facteur spatial, la distance était une raison suffisante pour rendre une implication directe impossible. Il y a bien des gens que cet éloignement n'a pas empêché de prendre une part (réellement ou conçue par eux-mêmes comme) plus active aux évènements. Il y en a même qui sont devenus des acteurs directs, parfois même principaux, rien qu'en s'exprimant, faisant étalage de leurs états d'âme, de leur pseudo-savoir et leur pseudo-engagement politique, même s'il est vrai que le seul fait de s'exprimer ne suffit pas s'il n'est pas au moins accompagné de quelques ficelles qu'on tire judicieusement... Mais ce n'était point mon cas. Même si mes écrits sont éminemment politiques, ils n'étaient jamais conçus comme une forme d'action politique. A aucun moment n'a-t-il été question que je propose une alternative politique ou que je m'inscrive dans une déjà existante. Individualiste à l'extrême, de nature profondément sceptique, rebelle à tout modèle de pensée ou d'action préconçue, hostile aux compromis et autres arrangements tactiques ainsi qu'à la loi du nombre, mes handicaps sont trop nombreux pour que je puisse envisager un jour une quelconque carrière politique. Ensuite, le choix du support (je ne suis même pas membre ni de facebook ni de twitter), du mode d'écriture et de la langue, tous des choix parfaitement conscients et assumés, condamnait ces écrits à n'avoir qu'une diffusion très limitée, presque confinée au seul cercle des amis et des connaissances et de quelques curieux qui pouvaient y être amenés par ces derniers ou par le simple hasard....
C'est dans ce même cadre que s'inscrit ma décision de mettre un terme à cette démarche.
Cette décision procède de deux constatations et d'une préoccupation. La première constatation est qu'en dépit des larges attentes suscitées par les évènements de l'hiver 2011 et de l'espoir d'une vraie dynamique de changement et de mutations profondes au sein de la société qui touchent les modes de penser et d'agir et qui aillent bien au-delà d'un changement de façade se limitant au seul régime politique voire même aux noms qui peuplent ce régime, c'est à peine si l'on a vu quelques balbutiements dans ce sens telles ses manifestations de responsabilité et d'implication civiques et ces élans de solidzarité et d'entraide qui ont caractérisé les premières semaines ou tout au plus les premiers mois. A part ces ébauches d'initiatives et de mouvements collectifs demeurés timides et somme toute ponctuels, l'on n'a pas vu éclore les cent fleurs de la révolution en tant qu'éveil des esprits, dessillement des yeux, déliement des langues, dépêtrement des moules tout faits qui déterminent la façon d'agir et de penser des gens. Il n'est d'ailleurs qu'à constater la maigreur symptomatique de la moisson culturelle, artistique et intellectuelle de cette révolution pour voir à quel point elle a été stérile. Il n'est même pas question de se demander combien de troupes de théâtre, de groupes musicaux, d'artistes, de cinéastes, d'écrivains, de journaux valables ou juste intéressants elles nous a donné. Même si on limitait la question à combien de pièces,  de films, de livres..., je ne pense pas que la réponse serait très réconfortante.
Je ne parle pas de la politique au sens le plus étroit, entendue au sens de mouvements, de partis, de thèmes et de débats. Là, on savait d'emblée, vu l'état des lieux avant le 14 janvier, qu'il ne fallait pas s'attendre à des miracles. Un état des lieux dont la principale marque est le vide. Un vide certes créé et entretenu par les gouvernants successifs de Bourguiba à Ben Ali qui étaient tous deux farouchement hostiles à tout semblant de mouvement, à tout frémissement qui pût constituer l'ombre d'une menace contre leur mainmise totale sur le pays et ses gens et qui se sont employé, chacun à sa façon, à maintenir cette affreuse vacuité. Mais, chez ceux qui ont eu le grand mérite de résister peu ou prou à cette terreur de l'absurde, même si leur mérite est indéniable et qu'il leur en coutât cher de s'y essayer, point de projet politique authentique, mûr et crédible. Point même de programme réel. et donc point d'ancrage populaire préalable, préparé ni même envisageable. Seuls les islamistes... !
Le résultat, on le connait. Non seulement, le tableau est-il déjà suffisamment sombre, mais il risque de l'être davantage dans les semaines et les mois à venir. L'étape islamiste ne fait que commencer et tous mes lecteurs savent ce que je pense de l'islamisme et des islamistes. Or, le pire de ce que cette étape peut nous apporter est encore à venir. On me dira avec raison, c'est justement là qu'on doit être plus présent et plus actif que jamais si l'on prétend avoir un tant soit peu de clairvoyance, de lucidité et d'intérêt pour le sort des gens et du pays. Comme il est facile de s'exprimer et d'élever la voix lorsque tout le monde le fait ou peut le faire et que rien ni personne n'est là pour vous en empêcher, en somme, lorsque le risque est nul ! S'il est un moment où critiquer, dévoiler, dénoncer devient important, voire même vital et en tout cas salutaire pour la dignité de l'individu et pour le bien de la collectivité, c'est celui où cela devient impossible sans que l'on aie à payer un prix qui peut être cher, très cher, même prohibitif. C'est ce que d'autres ont fait au cours des cinquante années qui ont précédé le 14 janvier 2011. Beaucoup d'autres. Et je n'ai malheureusement pas l'honneur d'en avoir fait partie. Beaucoup y ont laissé leurs peaux. D'autres y ont laissé des lambeaux de peau (c'est plus approprié que "des plumes"). Quelques uns occupent des postes de responsabilité, parfois importants. Les autres continuent de faire plus ou moins bien ce qu'ils ont toujours fait.
فمنهم من قضى نحبه ومنهم من ينتظر وما بدّلوا تبديلا
Etre le dernier à relever la tête lorsque les jeux étaient presque faits et qu'il n'y avait plus le moindre risque à le faire, surtout là où je suis, et être le premier à la rentrer dans les épaules, à peine un peu plus d'une année plus tard, lorsque le danger ne fait que pointer à l'horizon sans avoir entre temps subi la moindre agression physique ou verbale, la moindre menace, je ne (me) le cache point, n'admet que des qualificatifs peu reluisants : opportuniste, traître, lâche. Je ne tiens pas à m'en défendre et je ne chercherai pas à me disculper de toutes ces tares, ne serait-ce que parce qu'il y a au moins deux principes que je me suis toujours efforcé de respecter scrupuleusement autant qu'humainement possible et qui sont la sincérité et l'honnêteté. Je dirai seulement que je crains que la disproportion entre l'impact possible de ce que j'écris dans ce blog et le risque auquel je m'expose ne devienne de plus en plus grande et qu'elle ne franchisse bientôt la limite du raisonnable. Je ne crois pas en la démocratie des "frères" ni en leur tolérance et leurs "droits de l'homme" pas plus que je ne crois en la liberté sous les auspices d'un gouvernement d'islamistes quels que soient leurs noms et qui que soient leurs présidents de la république et de l'assemblée ou l'identité de leurs alliés et partenaires en général. Il n'est pas loin le jour où l'emprisonnement de tel journaliste, le tabassage de tel autre, la prise à parti de tel activiste ou cyber-activiste ne seront plus des incidents isolés ou le fait "d'éléments incontrôlés". Or, si je sais que je ne risque pas d'être en tête des cibles avec mon blog obscur qui fait à peine une vingtaine de visites par jour, je sais tout aussi bien que viendra un jour où l'on ne fera plus de quartier pour tout ce qui bouge et je sais ce que mes écrits peuvent représenter aux yeux d'un islamiste qui est au pouvoir ou qui a la bénédiction de ce dernier. S'il faut affronter les conséquences extrêmes que cela pourrait engendrer, autant s'impliquer dans une véritable action politique digne de ce nom. Pour diverses raisons dont j'ai déjà évoquées quelques unes, je n'ai pas fait ce choix et je ne suis pas près de le faire. Contre la barbarie, il n'y a pas de demi mesures. Soit on choisit de la combattre et l'on se joint à la mêlée ; au moins si l'on est tué ou estropié, on l'aura cherché et ç'aura été pour la bonne cause. Soit l'on se retire chez-soi et l'on ferme sa porte... et sa gueule. Mais on ne continue pas d'aboyer dans un étouffoir.
Ceci dit, je ne renie rien de ce que j'ai pu écrire au cours des quatorze mois passés. J'assume jusqu'à la moindre ligne, jusqu'au moindre mot. Aussi ai-je l'intention de garder la matière déjà publiée ici en ligne autant que le serveur le permettra. C'est ma modeste façon d'échapper à la médiocrité et à la lâcheté pure. Si je ne puis prétendre à la gloire des grands et à la noblesse des nobles, j'aurai au moins gardé ce petit lambeau de dignité qui nous permet de regarder au fond de nous-mêmes et ne pas avoir honte.
Même si mûrement réfléchie, la décision n'a guère été facile. Il me suffit de d'avouer que le premier jet de ce texte a été rédigé il y a deux semaines et que j'ai entre temps publié pas moins de trois articles qu'on peut difficilement qualifier de diplomatiques ou de prudents. Mais il y a un moment où il faut savoir trancher dans un sens ou dans l'autre.
Mon dernier mot sera un mot de remerciement et de gratitude à tous ceux qui ont été fidèles à cette page et qui m'ont prodigué leur soutien et leurs encouragements. Leur écoute et leur intérêt m'étaient particulièrement précieux. Sans eux, cette entreprise aurait été totalement absurde du début à la fin et simplement inutile. J'ose croire que cela n'a pas été tout à fait le cas.

Sunday, March 4, 2012

Ennemi public numéro 1 ! Pourquoi tout ce bruit autour de l'information ?

Depuis quelques temps, l'information en général et l'information publique en particulier, notamment la télévision nationale, focalise toutes les attentions et toutes les critiques qui virent le plus souvent à l'agression pure et simple. Pourquoi l'information et pas l'appareil judiciaire ou l'appareil sécuritaire ? Pourquoi pas l'administration, les pouvoirs locaux ou la finance ? L'interrogation est légitime. Cela veut-il dire pour autant que le questionnement de l'information est inopportun ou carrément sans objet ? Certainement pas. Seulement, si la mise en question est légitime, on ne comprend pas pourquoi cette mise en question porte de façon primordiale voire exclusive sur l'information et épargne des secteurs au moins tout aussi importants s'ils ne le sont pas davantage. Mais ce qui dérange le plus, c'est le fond même de cette mise en question. Car il suffit d'examiner de près le contenu des attaques menées contre l'appareil d'information et la source de ses attaques pour comprendre la nature de la bataille et de l'enjeu qui est au cœur de telle bataille. Et c'est, malheureusement, tout simple. Qu'il s'agisse de déclarations officielles ou de "manifestations populaires spontanées", un seul et unique reproche est fait à la télévision nationale qui est au centre des attaques : son hostilité au gouvernement et au principal parti politique qui l'anime et à l'égard des islamistes et de l'islamisme en général. Nul besoin, dès lors, de désigner la source des attaques qui se limite à ceux qui seraient la cible de l'hostilité présumée, tantôt représentés par leurs chefs de file et porte-paroles, tantôt par leurs militants de base qui sont alors présentés comme représentant "la voix du peuple". Pourtant, il y a bien d'autres reproches qu'on pourrait formuler dans une démarche véritablement critique et non politicienne à l'encontre de la télévision nationale, aussi bien au niveau de l'institution qu'à celui des journalistes dont on peut citer le manque de transparence, d'innovation réelle et de professionnalisme pour ne mentionner que ces exemples. Seulement, de tels constats ou reproches, on les formule dans un but critique pour aider à l'émancipation et à la maturation d'un appareil qui en est encore à ses premiers balbutiements sur la voie d'une expression à la fois libre et plurielle susceptible de lui permettre de jouer son triple rôle de témoin, d'éclaireur et de vigile qui sont les fonctions essentielles d'une information digne de ce nom dans une société démocratique moderne.
Mais le souci des détracteurs de la télévision publique se situe ailleurs. Il est d'ailleurs symptomatique que, le plus souvent, leurs propos délaissent rapidement le cahier de doléances pour passer au dénigrement et à la calomnie, la formule la plus courante étant celle qui qualifie l'appareil en question de "violet" ou encore "novembrien", c'est-à-dire encore fidèle au régime de Ben Ali. Parfois, l'on parle carrément de "poches de résistance" ou de la présence d'anciens du RCD (ancien parti au pouvoir). Y a-t-il encore des hommes du régime déchu au sein de la télévision ? Je n'en sais rien. C'est possible ; c'est même probable. Par contre, si c'est la tare des tares que ce cher gouvernement d'Ennahdha et ses supporters reprochent à la télévision nationale, ce que je sais de science certaine et qui ne relève pas seulement du domaine du possible ou du probable, c'est que ce même gouvernement compte en son sein au moins un ancien haut responsable de ce même régime tant décrié et son domaine de responsabilité n'est même pas de ceux qu'on qualifie généralement de "techniques" (outre les postes de secrétaire d'état à la pêche puis à l'environnement, il a notamment occupé sous Ben Ali le poste de chef de cabinet du ministre de l'intérieur à une période située bien loin de la période rosâtre ou plutôt grise qu'on peut qualifier de "période de grâce", "de bénéfice du doute" ou "d'incertitude", selon les goûts, pour ceux qui n'étaient pas fixés sur le compte de l'ex-dictateur dès le départ) qui a été repêché une première fois par M. Essebsi avant d'être retenu au sein du gouvernement Jebali en tant que ministre conseiller de ce dernier pour les questions de sécurité. Rien que la présence de cet ancien apparatchik dans un domaine aussi sensible, sans parler de tous les autres cadres supérieurs ou moyens qui ont pu être maintenus à leurs postes ou recyclés au sein de l'administration, devrait interdire à ces zélotes de condamner la télévision pour une telle raison, fût-elle vraie. Ils ont d'autant plus de raisons de s'en abstenir quand on voit l'empressement et l'obséquiosité dont ils ont fait récemment étalage auprès des autorités qui ont offert le refuge à Ben Ali lui-même et non pas à un pauvre journaliste ou un rond de cuir obscur qui l'aurait servi par le passé, laissant la charge de le juger, de le condamner et éventuellement de lui demander réparation (comment ?) "aux mains de la justice" !
Que les journalistes de la télévision tunisienne aient fait preuve d'un certain raidissement à l'égard de tous ceux qui se sont succédé à la tête du pays depuis le 15 janvier 2011 et pas seulement de ceux actuellement en place, c'est tout à fait perceptible. Que ce raidissement ait parfois pris l'allure d'une certaine adversité, c'est tout aussi clair. Mais, c'est plus une hostilité de forme, d'ailleurs souvent maladroite, que de fond. C'est comme si ces journalistes cherchaient, désormais d'instinct, à prendre leur distance vis-à-vis des hommes du pouvoir après avoir si longtemps servi leurs prédécesseurs, à se mettre sur la défensive, essayant de chasser tout soupçon d'allégeance. Mais, ce faisant, ils se préoccupent beaucoup plus du paraître que de l'être. Il en va ainsi de cet entêtement stupide à qualifier de provisoires les tenants du nouveau pouvoir, président et gouvernement, ou encore de cette manie de désigner tout responsable de quelque rang qu'il soit par ses seuls nom et prénom sans jamais prendre la peine de les précéder de "monsieur" ou "madame" comme il est de mise dans les usages du pays et de toute la région, même quand on parle du plus ordinaire des individus, comme si le faire était devenu une marque de collusion ou de connivence. Il en est de même de leur propension à bombarder leurs interlocuteurs parmi les officiels de questions sans leur laisser le temps de répondre ou de dire ce qu'ils ont envie de dire, allant souvent jusqu'à leur couper la parole en plein milieu de phrase contre les règles les plus élémentaires de bienséance, voire même contre les exigences de la simple politesse. Cette maladie infantile de l'information indépendante en démocratie touche jusqu'aux techniciens et aux réalisateurs des journaux télévisés qui ne s'embarrassent pas de couper les séquences vidéo illustrant tel ou tel élément d'information au beau milieu de la déclaration d'un officiel ou d'une conversation de deux ou plusieurs personnalités politiques sans même attendre la fin d'une idée ou d'une phrase... Mais au-delà de ces pratiques trop voyantes qui tiennent plus à l'insolence et au manque de tact qu'à l'indépendance d'esprit et à la liberté d'information et d'expression, prenez n'importe quelle interview d'un homme politique et vous verrez à quel point son auteur manque lui-même d'information, de cette information de fond nécessaire à toute personne qui a pour métier d'informer les autres, mais aussi d'intelligence, de vivacité d'esprit, de sens de la répartie, en un mot des ingrédients élémentaires de l'art du questionnement qui requiert un savoir faire et un savoir tout court sans limite. Qui veut savoir de quoi je parle et mesurer la distance qui reste à parcourir pour nos journalistes dans ce domaine avant d'atteindre le niveau requis n'a qu'à regarder la longue interview du président Marzouki réalisée par un journaliste libanais et diffusée récemment en simultané par la LBC et la première chaîne nationale. J'ai trouvé cette interview particulièrement passionnante, non pas tant par la teneur des réponses de l'interviewé, mais par la qualité des questions, la manière de les poser et toute la stratégie de l'intervieweur. Je n'irai pas jusqu'à mentionner des exemples moins accessibles comme l'excellent Hard talk de la BBC World Service...
Toutefois, détrompez-vous ! Ce n'est pas ce genre de considérations qui préoccupent les détracteurs de la télévision nationale ni même la partialité fictive ou réelle qui marquerait l'attitude des journalistes et le traitement de l'information. Pour s'en assurer, un seul exemple suffit. L'émission d'actualité Hdith Essa'a qui passait tous les jours de la semaine de 19h à 20h. Le concept de l'émission était un concept ouvert et intelligent. Sa matière était variée et souvent pertinente. Son présentateur était toujours bien préparé pour aborder les différents thèmes choisis et dialoguer avec ses invités soigneusement choisis et savamment sélectionnés en fonction des sujets tout en tenant compte de la variété d'obédience et/ou d'appartenance politique qu'il questionnait avec beaucoup de doigté. Il n'hésitait d'ailleurs pas à en rajouter tant il tenait à regarder soigneusement où il mettait les pieds... Or, qu'en est-il advenu ? On a d'abord commencé par chasser l'assistant, Haytham El-Makki, jugé, dit-on, trop hostile à Ennahdha. Personne ou presque n'a bronché. Mais, ce n'était guère suffisant et l'on a fini par avoir la peau de l'émission et de son présentateur principal Elyes El-Gharbi, en dépit de toutes ses qualités, de toutes ses précautions et du succès indéniable de l'émission à l'audimat. Difficile d'imaginer que ce lâchage soit destiné à contrarier Ennahdha. C'est même le contraire qui est le plus vraisemblable ! Comme quoi, la télévision, du moins l'institution et, surtout, sa direction, n'est pas si réfractaire qu'on veut bien le laisser entendre à l'influence du pouvoir islamiste.
Mais, alors, quel est le vrai problème. Quel dessein desservent ces attaques en règle ?
La réponse est claire et toute simple. Le véritable enjeu n'est pas tant le professionnalisme dans le traitement de l'information, sa partialité ou son impartialité ni même l'attitude plus ou moins favorable à l'égard du gouvernement, mais bien le contrôle de ce formidable appareil de propagande qu'est la télévision qui précède de loin en importance celui de la radio ou des journaux qui ne sont certes pas épargnés, mais qui passent au second plan par rapport à la télévision. On a beau affirmer que la bataille de l'information se joue désormais sur la toile (elle-même d'ailleurs loin d'être négligée), il n'en demeure pas moins que la télévision passe de loin devant internet et ses réseaux sociaux dans un pays où l'on est encore loin de compter un pc et encore moins une connexion internet par ménage, y compris dans les grandes agglomérations urbaines, mais où l'on n'est pas loin de parler d'un téléviseur par foyer même dans les milieux les plus démunis et les recoins les plus reculés et les plus éloignés de la civilisation. Les moyens d'information en général et la télévision en particulier n'ont d'équivalent en importance que l'appareil éducatif dans le façonnage des esprits et la formation des opinions (il suffit pour s'en convaincre d'écouter le discours de M. Mourou à l'intention du prédicateur égyptien Ghunîm ainsi que celui des autres personnalités islamistes présentes à cette rencontre mémorable). L'école est en bonne voie d'être complètement domestiquée, la télévision est pratiquement la dernière enceinte qui échappe encore à la mainmise islamiste. Bien sûr, il y a les partis politiques dits "d'opposition laïque". Il y a aussi le mouvement associatif largement séculier. Et il y a enfin les syndicats. Les premiers ont déjà montré toutes leurs limites. Le second est certes déjà mieux doté, mieux organisé et implanté et du coup plus coriace. Mais il perdrait beaucoup de sa vigueur et de son efficacité s'il était privé de l'une de ses principales tribunes sinon la principale. Quant aux syndicats, il ne saurait être question de s'y attaquer sérieusement tant qu'on n'aura pas neutralisé les deux premiers. A ce titre, les dernières escarmouches ne doivent être perçues tout au plus que comme de simples ballons d'essais si elles ne sont pas simplement le fait de quelques éléments incontrôlés. M. Ghannouchi et ses amis sont trop avisés pour courir deux gros lièvres à la fois. Mais on ne perd rien pour attendre.
C'est pour ces raisons que la bataille en cours est, déjà, une première bataille décisive bien plus importante que celles du niqâb, de la présidence des commissions de l'assemblée constituante ou du ma'dhûn charaîque et du mariage coutumier toutes réunies.
EDIT : Lyes El-Gharbi a refait son apparition sur le petit écran avec son émission Hdith Essa'a. Mes soupçons d'une éviction sous l'influence directe ou indirecte d'Ennahdha seraient donc infondés. Si c'est le cas, mea culpa. En tout cas, la devise qui sert de sous-titre à ce blog n'est pas là seulement pour la forme. Néanmoins, je ne pense pas que cette erreur d'interprétation soit suffisante pour invalider mon analyse. Seuls les événements à venir peuvent éventuellement le faire. Sincèrement, j'en doute. Mais si cela devait arriver par bonheur, je serais le premier à le reconnaître en gros caractères et à m'en réjouir.
Edit 2 : On sait depuis que le mea culpa n'était malheureusement guère justifié, puisque l'émission a tenu encore deux mois de plus avant d'être supprimée de la grille. Celle qui l'a remplacée et son animatrice n'ont pas eu plus de chances. Elles n'auront résisté que quelques mois avant de subir le même sort

Thursday, March 1, 2012

Dr Jekyll & Mr Hyde : Abdelfattah Mourou par lui-même

Point besoin du moindre commentaire. Il suffit d'écouter les propres paroles de l'intéressé et de confronter ses déclarations les unes avec les autres.
Mourou et Ennahdha :
Ghannouchi est mon président


Divorcés

Sa participation au gouvernement :
Il se sont moqués de lui

C'est lui qui a préféré se désister


Le statut personnel :
L'expérience de la Tunisie est une expérience éclairée qui lui fait honneur et la distingue des autres pays arabes  et qu'il faut donc renforcer

La Tunisie a été désislamisée et l'islam y a été vidé de tout contenu et c'est dans ce contexte que Bourguiba a pu "dévoiler" la femme sans la moindre résistance
L'excision :
Elle est à rejeter totalement et n'a pas de place chez-nous

Le prophète a dit que c'était une bonne chose sans toutefois en faire une obligation, mais ce n'est pas le moment propice pour en parler car les circonstances ne le permettent pas
A propos de Ghunîm :
Un premier son de cloche


Et encore


Un autre son de cloche


La charia dans la constitution :

Son avenir politique :

Le vrai du faux à propos de tout cela :




Saturday, February 18, 2012

Le cynisme du ministre est encore pire que le populisme de son président

Le débat diffusé par la première chaîne nationale tunisienne dans la soirée d'hier sur la corruption n'a pas manqué d'interventions à la fois judicieuses et instructives de la part de deux des participants, à la différence de celles du ministre qui y a pris part et malgré le manque évident de préparation de la part de l'animateur de l'émission. Un point particulier qui a retenu mon attention est la promesse faite par le président de la république à Sidi Bouzid d'y créer un technopôle. Sans prétendre disposer d'informations

précises et exhaustives sur ce qu'un technopole peut être, ce qu'il peut coûter et ce à quoi il peut servir, la critique de l'intervenant qui a soulevé la question m'a paru à première vue sensée (1). En somme, si j'ai bien compris le fond de la critique, vous ne faites pas cadeau d'un chauffe-eau électrique à quelqu'un qui n'a accès ni à l'électricité ni à l'eau courante ! Ce qui m'a le plus frappé, ce n'est pas le fait que notre président ait pu faire une telle promesse justement qualifiée de "populiste", mais bien la réplique du ministre (issu du même parti que lui) qui s'est cru obligé de préciser qu'aucune décision n'a été prise dans ce sens et qu'il ne s'agissait que "d'une déclaration politique" ! En clair, c'est de la poudre aux yeux. Des paroles sans suite qu'on jette à la foule pour l'apaiser et/ou gagner sa sympathie. C'est bien ça ? C'est avec des promesses tapageuses sans lendemain et des tours d’illusionnistes que les nouveaux gouvernants comptent mener le pays et épater son peuple ? N'est-il pas le cas de dire du commentaire de M. Abbou à propos des déclarations de M. Marzouki:
فِقْهُ بُردٍ أَغيَضُ لنا مِن شِعرِ بَشّار
(Bashshâr Ibn Burd est le célèbre poète aveugle de la période abbasside dont on dit que des gens qui ont été la cible de l'un de ses poèmes satiriques allèrent se plaindre à son père. Celui-ci leur répondit en citant le verset du Coran qui disait : "L'aveugle n'est point blâmable !". Alors ils s'exclamèrent : "La jurisprudence de Burd est encore pire que la poésie de son fils !")
_____________________________________
(1) : Voici ce qu'on peut lire par exemple au tout début d'une brochure du Conseil Economique et Social Régional sur "Les Technpôles en Haute Normandie" :
"Qu’est-ce qu’une technopôle ?
C’est un ensemble où doivent s’exercer trois fonctions :
- l’ingénierie de produits innovants par la collaboration entre industriels, chercheurs, enseignants et financiers implantés sur la technopôle,
- l’animation par la mise en réseau des compétences des acteurs de la technopôle,
- le marketing du territoire de la technopôle par sa valorisation visant à attirer les entreprises et les laboratoires" Source

Mais qui est ce Wajdi Ghunîm ?

Depuis sa tournée triomphale, on sait à peu près ce qu'il raconte et l'on a une idée de la teneur de "sa science" dont M. Abdelfattah Mourou s'est empressé au tout début de son réquisitoire fort remarqué, et applaudi de tout bord, de préciser qu'elle "n'était pas en doute", pas plus que ne l'était la nature de son prêche. Ce que l'on sait probablement beaucoup moins, c'est qui est cet homme et "d'où il vient" comme on dit en anglais. Or, ce genre d'informations n'est pas tout à fait inutile et c'est pourquoi je me suis mis en quête de quelques indications qui m'ont été aimablement fournies par un ami égyptien que je salue.
L'article qui est dédié à ce Ghunîm sur la version arabe de Wikipedia et qui ne semble pas avoir été l’œuvre de quelqu'un qui lui est hostile nous apprend qu'il a été proprement mis dehors ou a lui même pris les devants avant qu'on ne le chasse de pays aussi divers que le Bahreïn, le Yémen, l'Afrique du Sud et la Grande Bretagne (excusez du peu, quand on sait quelle faune circule, s'exprime et agit en toute liberté dans ce pays), sans parler de son propre pays, l'Egypte, où il n'a plus pu mettre les pieds depuis... 2001. Cet article de presse * offre un bon échantillon de ses déboires avec différents pays et de l'errance qui en a résulté. Par ailleurs, il n'est pas difficile de voir à la lecture de l'article de Wikipedia que ce monsieur ne détient aucun diplôme sérieux qui soit issu d'une institution académique digne de ce nom en terre d'islam ou ailleurs, y compris dans les disciplines religieuses qui l'intéressent et la "science" qui serait la sienne selon les propos de M. Mourou. Il n'est même pas diplômé de l'université d'El-Azhar dans une spécialité du genre 'usuli-d-dîn ou 'ulûmi-l-hadîth. Quant à "l'institution" auprès de laquelle il aurait obtenu ses titres de Master et de PhD et dont le nom même ne contient pas la mention "Université", il n'est pas difficile de vérifier la valeur de son profil académique. Il suffit d'une simple recherche google (voici un échantillon fort édifiant pour les lecteurs anglophones). Comme on peut le comprendre à l'écoute de certaines de ses interventions, sa prise de position en faveur de l'excision n'est pas le plus remarquable de ses hauts faits "scientifiques". Jugez-en par vous-mêmes sur la foi de ce croustillant morceau à propos de l'émancipation de la femme ou encore cette belle oraison funèbre à la mémoire de...  Ben Laden (َAppréciez notamment le qualificatif d'apostat accolé à Obama, comme s'il avait jamais été musulman (!). Mais, les deux pages contiennent d'autres liens non moins éloquents) !
A en croire ses diverses prises de position et son parcours comme les réactions de M. Mourou ainsi que l'hilarant communiqué du ministère de la santé à propos de l'excision, il est clair que les islamistes d'Ennahdha et même les salafistes de la Manouba apparaissent, à côté, comme de doux agneaux ou des brebis égarées qui n'ont d'autre choix que la repentance. Toutefois, la question est comment se fait-il que cet activiste au pedigree si exceptionnel a non seulement pu obtenir notre visa et franchir nos frontières sans difficultés, mais a trouvé toutes les portes grandes ouvertes. Comment a-t-il eu accès à ce qu'on a de mieux comme lieux de représentations publiques pour propager sa bonne parole et rassembler ses fans qui se comptent jusque parmi des blogueurs présentant toutes les apprences de respectabilité, par delà leur appartenance idéologique ?
Mon humble avis est que cet épi-phénomène peut avoir plusieurs fonctions dans la stratégie d'Ennahdha, la principale étant de servir d'une espèce de faire valoir négatif au mouvement. Le message serait : "Voyez le véritable méchant salafiste rétrograde qui menace votre quiétude et votre confort social pour mieux apprécier notre modération et notre sens de la mesure !". Du coup, les Ghannouchi, Jebali, Laraïedh, Mourou et consorts apparaissent comme les gardiens des valeurs républicaines, les voix de la sagesse et les véritables chantres du modernisme. Dans cet ordre d'idée, le coup médiatique Ghunîm remplit la même fonction que l'annonce de la mise en échec d'un complot salafiste visant à instaurer un émirat islamiste en Tunisie. Et M. Mourou a beau jeu de raconter l'anecdote du prophète qui, voyant le courroux de ce "citoyen" inconnu à qui il avait donné "un coup d'éventail" dans le ventre, lui offrit le sien pour qu'il puisse se faire justice... Comme si un certain Chourou n'avait pas cité quelques jours plus tôt le verset 33 du chapitre V du Coran où il était question de massacre, de crucifixion et d'amputation des membres opposés et comme si quelques mois plus tôt le même Jebali n'avait pas annoncé le sixième khalifat ! Entre temps, M. Khedhr et ses compagnons peuvent cuisiner tranquillement la prochaine constitution du pays dont on nous promet qu'elle sera basée sur la Charia, même si on ne sait pas encore dans quelle mesure et jusqu'à quel point (à titre d'exemple, est-ce qu'elle sera déclarée comme  l'une des sources, la source principale, la source tout court ou l'unique source législative ?).
Une autre vertu de l'ébullition déclenchée par les sorties de Ghunîm est que ce genre de manifestations est propice à cette fameuse dynamique "du pousse-pousse" chère à M. Ghannouchi (je n'ai pas réussi à trouver une traduction plus adéquate pour rendre sa belle et originale formule de التّدافع الاجتماعيّ) en vue de diffuser la bonne parole, c'est-à-dire réaliser une imprégnation "en douceur" mi-provoquée mi-spontanée de l'idéologie islamiste à l'échelle de l'ensemble de la société. En d'autres termes, on met tout en place pour que le bouillant prêcheur déploie son discours intégriste avec toute sa panoplie de concepts et de préceptes entre salles de sport à grande capacité et grandes mosquées. Ensuite, on publie un communiqué officiel stipulant que l'excision est médicalement contre-indiquée. Tout le reste, vous pouvez le consommer sans modération !...
C'est ce qu'on appelle dans le langage moderne (encore un anglicisme ou plutôt un américanisme) une opération "gagnons gagnons" ! Et ils peuvent tranquillement s'en laver les mains, arguant de la liberté d'opinion et d'expression pour justifier leur tolérance bienveillante aujourd'hui à l'égard de ce gourou, hier à celui des forcenés de la Manouba et d'ailleurs. Liberté d'expression dont il ne peut naturellement être question lorsque telle chaîne de télévision diffuse un film contenant des scènes jugées blasphématoires ou lorsque tel journal publie à sa une une image un peu "osée". Eh oui ! Il y a liberté et liberté. Amputer l'objet du désir et de perdition de bien des fidèles et de cheikhs y compris des plus chastes est-une chose. Montrer cet objet ou même un autre moins intime, même en image, en est une autre...
Je dois avouer que c'est plutôt brillant et même assez ingénieux, comparé à la misère de ceux d'en face, "les forces du progrès" entre le quasi appel d'outre-tombe des uns et la frénésie fusionniste des autres qui ne sert à rien d'autre sinon à prouver a contrario qu'à part les dénominations, il n'y a pas grand chose qui différencie les "partis" en question les uns des autres et qui fournit une belle illustration posthume à la célèbre formule de Bourguiba : "Additionnez une infinités de zéros ; vous n'obtiendrez rien d'autre que zéro !".
________________________________________
* : Depuis un certain temps, le site du journal contenant l'article affiche indéfiniment un message de fermeture provisoire pour maintenance. Même si la source est moins notoire, on peut retrouver sur ce lien la substance de l'article auquel je voulais renvoyer à l'origine.

Edit: Pour qui veut vérifier la pertinence de mon analyse concernant la position affichée par M. Mourou et les instances officielles d'Ennahdha, je vous invite à regarder cette vidéo dont j'ai supprimé toute une partie au début qui est à mes yeux de moindre importance, en pensant à ceux qui n'ont pas une connexion internet rapide (la vidéo intégrale à partir de laquelle j'ai produit cette version raccourcie se trouve ici ; (en fait, on peut la retrouver sur plusieurs sources dont Youtube, mais c'est à travers le blog thalasolidaire que je l'ai découverte)

Il importe de faire preuve de la patience nécessaire pour aller jusqu'au bout de la vidéo. Elle me paraît plus éloquente que n'importe quelle analyse théorique et elle est d'autant plus importante au vu de l'identité des participants au débat et de leurs positions respectives sur la scène publique et politique, la nature des thèmes évoqués et les positions exposées ainsi que la clarté avec laquelle elles sont exprimées.

Monday, February 6, 2012

L'intéressant cas de M. Chourou 2 : le texte, rien que le texte

 Suite et fin
La première partie se trouve ici.

Je crois avoir démontré dans la première partie de cet article de manière suffisamment convaincante que le recours à l'argument du contexte entendu au sens de circonstances extrinsèques au texte proprement dit est vain, d'abord parce que la détermination de ces circonstances n'est jamais assurée et l'on a vu qu'elle est loin de l'être dans le cas des versets cités du chapitre V pour lesquels une circonstance de la révélation (سبب النّزول) a bien été relatée par les commentateurs. Alors, qu'en serait-il pour tous les autres versets pour lesquels aucune circonstance de la révélation n'a été documentée et qui forment l'écrasante majorité du corpus coranique ! Cet argument du contexte est d'autant moins recevable aux yeux de tout croyant qui se respecte pour qui le Coran n'a rien d'un texte de circonstance et il est, au contraire, un texte à portée absolue qui n'a que faire des considérations d'histoire et de géographie. Ce n'est point un hasard si l'une des règles fondamentales de la philosophie du droit musulman dénommée "fondements du fiqh" (أصول الفقه) est : "Ce qui fait foi, c'est le caractère général de l'énoncé et non la spécificité de la circonstance." (العبرة بعموم اللّفظ لا بخصوص السّبب).
Certes, on peut toujours critiquer l'usage que M. Chourou fait des versets cités en lui faisant remarquer, par exemple, que si les versets en question indiquent le châtiment à appliquer à une certaine catégorie de gens, rien dans ces mêmes versets ni ailleurs ne permet d’identifier ceux qui organisent des sit-in, des grèves ou d'autres formes d'arrêt de travail et qui bloquent les routes aux groupes définis dans le texte coranique comme "ceux qui combattent Dieu et son Apôtre, et qui emploient toutes leurs forces à com­mettre des désordres sur la terre". Pour que l'extrapolation opérée par M. Chourou soit recevable, il faudrait démontrer que la description du verset s'applique parfaitement aux groupes visés dans son intervention. Pour ce faire, il faudrait être en mesure de prouver qu'en faisant ce qu'ils font, ces derniers combattent Dieu et son Apôtre ou Allah et son Messager, ce qui est loin d'être dit. En fait, il n'est même pas sûr qu'ils le font juste pour contrarier le gouvernement actuel qui est essentiellement celui d'Ennahdha puisqu'on sait que les grèves et sit-ins en question n'ont jamais cessé depuis le premier gouvernement de M. Ghannouchi et tout au long du mandat de celui de M. Essebsi. Quand bien même, on réussirait à prouver le contraire, à notre connaissance, M. Marzouki n'est pas Dieu, pas plus que M. Jebali n'est son Apôtre...!
Une telle critique serait tout à fait justifiée et pourrait même être plus efficace que celle qui chercherait à faire valoir le fait que le "contexte" dans lequel les versets concernés ont été révélés est différent du contexte présent en Tunisie. Elle aurait en tout cas plus de chances d'être admissible, y compris auprès des croyants parce qu'elle s'appuie sur le "contexte" par excellence au sens littéral du terme, c'est-à-dire le cadre textuel immédiat dans lequel les versets s'insèrent, et non le "para-texte" ou "méta-texte" de la circonstance historique. Néanmoins, aussi efficace soit-elle, cette critique a ses limites. Il faut d'abord se rappeler que la pratique de l'analogie par projection et transposition, M. Chourou et ses semblables en font un choix délibéré et éventuellement systématique qu'ils appliquent y compris à l'histoire même, comme on va le voir à travers une autre déclaration. Mais le problème est ailleurs ou, plutôt, une autre position est possible voire même nécessaire pour qui n'est pas tenu par les limites qu'impose la foi. Car, autrement, ci ce n'est celui-là dans le cas qui nous préoccupe, il y aurait toujours un autre contexte où les horribles peines décrites dans le verset 33 seraient applicables comme il y aurait sûrement d'autres peines ou simplement d'autres principes que nous pauvres mortels estimons inadmissibles et dont on pourrait prouver plus ou moins difficilement qu'ils sont tout à fait appropriés pour tel contexte. La question, dès lors, ne serait plus "Qui vous dit que l'expression "ceux qui combattent Dieu et son Apôtre" s'applique aux manifestants, grévistes et sit-inneurs tunisiens en l'année de grâce 2011-2012 ?" ou encore "D'où tenez-vous l'autorité interprétative qui vous permet d'opérer une telle extrapolation ?", mais bien "Quel crime si ignoble, si odieux soit-il, justifierait un traitement aussi horrible que celui décrit ?" à laquelle il faut tout de suite ajouter la réponse suivante : Aucun. Il ne s'agirait, en effet, plus de savoir si le châtiment décrit est ou non applicable à tel ou tel individu ou groupe d'individus ou à celui ou ceux qui commettent tel ou tel acte, mais que ce châtiment ne doit même pas être mentionné ici et maintenant, dans nos contrées et à l'époque où nous vivons parce qu'inhumain et pire que le pire des crimes qu'il est censé sanctionner et qu'il en va de même de la flagellation, de la lapidation et de l'amputation des membres. Il faut avoir le courage de clamer haut et fort la prééminence de certaines valeurs et certains principes devenus universels sur tout précepte ou corps de règles, fût-il de nature sacrée pour certains et effectivement d'origine divine ou supposé comme tel. Cette position est la position minimum indispensable que devraient adopter tous ceux qui prétendent faire barrage à la barbarie. Autrement, les amis "modérés" de monsieur Chourou vous diront qu'ils vous font déjà une belle fleur en n'entendant pas appliquer le châtiment décrit à la lettre et en "se contentant" d'appliquer des formes moins spectaculaires de manière sélective à ces apostats fauteurs de troubles qui osent s’opposer à Dieu et à son Apôtre (entendez au gouvernement d'Ennahdha) et semer le désordre sur terre.
On ne sait pas de science certaine pourquoi tel groupe de travailleurs fait grève, tel autre organise un sit -in ou tente de paralyser la circulation et tel troisième brûle une municipalité ou un poste de police. Leurs raisons et leurs motivations peuvent être aussi diverses que leurs actes. Il n'est pas du tout à exclure que ces motivations soient pernicieuses dans certains cas. Dans d'autres cas, même si les motivations sont de bonne foi et partent de préoccupations et de revendications légitimes, cela ne justifie pas nécessairement leurs actions quand celles-ci dépassent le cadre de la protestation et la revendication pacifiques et, à plus forte raison, quand elles portent du tort à des tiers, qu'il s'agisse d'autres groupes non concernés ou de l'ensemble de la société ou de la nation (si tant est que des entités universalisantes du type "la société", "la nation", "le pays" ou "le peuple" sont faciles à définir sans risque de manipulation). Seulement, il y a des structures pour instruire chacun de ces cas et des lois qui définissent la manière de les sanctionner en cas de faute avérée ou d'agissement mal-intentionné. Le cas échéant, les agissements en question peuvent être empêchés, y compris par le recours à la force, pourvu qu'il s'agisse d'une force organisée, réglementée et que ses modalités et les circonstances et les limites de son usage soient définies par la loi et soumises au contrôle des institutions, de même que les auteurs de ces agissements sont passibles de poursuites et de sanctions qui peuvent inclure la privation de liberté, le paiement d'amendes, mais pas la crucifixion ou l'amputation des membres opposés ! Que je sache, les tunisiens ont peut-être choisi de donner à M. Chourou et ses amis un certain nombre de sièges au sein de l'assemblée constituante plus important que celui donné à n'importe quel autre groupement politique. Mais, ils n'ont pas choisi d'être gouvernés par la Charia. Pas encore ! Cela pourrait arriver un jour. L'impossible n'est pas tunisien ! Mais, jusqu'à ce que cela se produise, il n'est pas question d'aller chercher la définition des crimes, la manière de prouver la culpabilité de ceux qui les commettent et les sanctions à leur appliquer dans le Coran, le Hadîth, le recueil des avis ou sentences de tel ou tel cheikh ou imam ou n'importe quel autre texte, qu'il fût sacré ou profane, qui ne relève du choix des gens par le biais des institutions qui les représentent.
La position que je viens de développer peut ne pas plaire à tout le monde. Elle peut même être dangereuse ; on a vu des penseurs, des journalistes ou de simples citoyens s'exposer à des actes de violence et à toute sorte d'intimidations et d'agressions quand il ne font pas simplement l'objet d'une condamnation à mort pour moins que ça. Elle peut aussi paraître manquer de réalisme politique parce que heurtant "la sensibilité d'une société arabo-musulmane" ou en termes plus clairs faire courir le risque à nos fins tactico-politiciens de perdre des voix auprès de l'électorat (l'expérience la plus récente montre qu'il vont les perdre de toute façon, quoi qu'ils fassent sur ce plan ; inutile d'essayer d'offrir au "peuple" de faux islamistes ou islamisants quand il a les originaux à portée de main !). Mais, elle a au moins le mérite de la clarté et de prendre la juste mesure du problème et des enjeux qui sont, croyez-moi de taille !
Dites-vous bien que, dans la tête de M. Chourou, les choses sont bien claires ! La citation du chapitre V n'est ni un abus de langage ni un effet de style ni encore moins un lapsus linguae. Dans une autre déclaration signalée par Boukornine dans son article pré-cité, le même M. Chourou décrivait la phase actuelle comme étant celle de la trêve de Hudaybiya.

Cette séquence est fort intéressante également pour "l'analyse" que fait M. Chourou des récents événements. La victoire du 14 janvier est l’œuvre de Dieu tout seul qu'il a offerte à ses fidèles serviteurs, les gens d'Ennahdha et peut-être leurs frères salafistes et ceux de Hizbi-t-tahrîr (inutile donc d'essayer de lui dire que si lui et ses frères ont pu enfin voir la lumière du jour après vingt ans de cachot et des tortures qui sans approcher en atrocité le traitement décrit dans le verset d'al-mâ'ida auront certainement été des plus dures à supporter et que s'il est passé en un an du statut de prisonnier desperado au siège de l'assemblée constituante comme d'autres frères sont passés d'une condition semblable ou comparable aux fauteuils de ministres, c'est justement grâce à des manifestants, des grévistes et des sit inneurs pareils à ceux qu'il veut faire crucifier) à l'exclusion de tout autre intrus. Seulement, c'est une victoire partielle qui a d'abord consisté à chasser leur ennemi juré, le dictateur déchu, à leur offrir la liberté et la possibilité de se retrouver entre eux et de "propager l'appel" en attendant que la conquête soit complète et la victoire totale. Cependant, il était dans leur intérêt et celui de leur cause d'opter pour un compromis à la Hudaybiya.
Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire musulmane, l'accord qui porte ce nom était un accord conclu en l'an 6 de l'hégire entre le prophète et ses adeptes d'une part et les païens de Quraysh de l'autre et en vertu duquel les premiers acceptaient notamment de renoncer à entrer à la Mecque pour y effectuer le "petit pèlerinage" ou 'umra, comme ils en avaient originellement l'intention, et de revenir à Médine, à condition qu'ils puissent revenir l'année d'après et le faire sans opposition, ce qu'ils firent bien et purent y installer triomphalement leur pouvoir peu après (l'accord contenait d'autres dispositions telles que la cessation de toute hostilité guerrière et le renvoi par Muhammad des femmes, des esclaves et des mineurs qui l'ont rejoint et se sont converti à l'Islam sans l'autorisation de qui de droit)... Le parallèle peut paraître grotesque et tout à fait inapproprié aux yeux du commun des mortels, mais il n'en est pas moins fort instructif sur le fond de la pensée des islamistes d'Ennahdha dont M. Chourou n'est pas un simple militant de base, mais l'un des chefs historiques au même titre que MM. Ghannouchi, Jebali et Laraïedh. Or que nous apprend ce parallèle ? Que les membres d'Ennahdha, comme les combattants musulmans partisans de Muhammad, représentent à eux seuls l'ensemble de la communauté des croyants face à une communauté plus large qui leur est hostile et qui est constituée essentiellement de mécréants (entendez le reste de la société tunisienne avec ses différentes sensibilités représentées par les différents mouvements et partis politiques et instances civiles) ; que face à de telles circonstances, les premiers cités ont été obligés, pour des raisons tactiques, donc provisoires, de composer avec leurs ennemis et de transiger sur un certain nombre de questions (acceptation de la règle du jeu démocratique, adhésion affichée à un certain nombre de valeurs et de principes dit républicains...) en attendant de pouvoir revenir à la charge dans des circonstances et avec un rapport de force plus favorables en vue de soumettre tous les mécréants et d'asseoir l'état islamique pur. En poursuivant la même démarche analogique, on pourrait ajouter sans risque d'exagération que la coalition avec le CPR et le PDP est comme l'alliance du prophète avec les juifs de Médine des Bani Quraydha et Bani-n-nadhir dont il savait pertinemment combien ils étaient hypocrites et peu fiables et leurs intentions suspectes mais dont il avait besoin pour renforcer ses rangs lors des débuts délicats de la communauté naissante et de son jeune "état" en formation et dont il n'allait pas hésiter à se séparer le moment venu...
A bon entendeur !
PS. Même si la déclaration de M. Samir Dilou, entre autres, ministre des droits de l'homme et de la justice transitoire, au sujet des propos de M. Chourou selon laquelle "la citation de versets du Coran n'est pas un délit dans ce pays", à ce qu'il sache, et ces propos relèvent de "la liberté d'expression" a provoqué chez-moi un accès d'hilarité irrésistible, je n'ose pas imaginer le sentiment de monsieur Dilou lui-même en écoutant les propos de son grand frère Chourou ou celui de ce dernier en pensant au titre de M. Dilou au sein du gouvernement. Mon petit doigt me dit qu'il devait lui aussi rire sous cape.

L'intéressant cas de monsieur Chourou 1 : Texte et contexte

 Ce texte est dédié à un ami cher qui se reconnaîtra.

C'est la réplique d'un lecteur avisé (apparemment plus avisé que moi en tout cas) à un commentaire que j'avais posté en réaction à un article d'un blogueur connu et respecté que j'ai été amené à rompre mon silence pour écrire le présent article. Si je n'écris plus beaucoup dans ce blog, c'est que j'ai l'impression qu'en le faisant, je cours un risque élevé de me répéter et que je n'aime pas trop ressasser les mêmes positions et les mêmes idées (d'où mon manque de réaction à l'appel du premier ministre sortant par exemple). Je sais qu'il n'est pas très intelligent de céder à la provocation pour se retrouver à enfoncer des portes ouvertes (par soi-même) sans parler des risques collatéraux comme celui de voir grossir la liste de ses ennemis ou de se retrouver sur une liste noire de personnes à éliminer. Mais tant pis !
Tout le monde est au courant de la déclaration de M. Chourou en séance plénière de l'assemblée constituante qui a soulevé un tollé général et a suscité le flot habituel de protestations d'un côté et d'explications et de justifications de l'autre. Pour ceux qui ne le connaissent pas, M. Chourou est un cadre d'Ennahdha qui a tiré vingt ans de prison sous le régime déchu et qui a retrouvé la liberté à la faveur des événements de l'hiver passé. Dans la déclaration en question, il a cité des versets coraniques pour indiquer le traitement qui doit être réservé à ceux qui organisent des grèves, des sit-in ou bloquent des routes à l'appui de leurs revendications. Or, ce qui est remarquable dans les réactions de tout bord, des adversaires comme des amis, c'est que les uns comme les autres se sont entendus pour évoquer des considérations de...contexte, les uns reprochant à l'auteur de cette malheureuse intervention d'avoir repris une citation du Coran "sortie de son contexte", les autres  reprochant au contraire aux premiers d'avoir pris a parti le pauvre homme pour un discours "sorti de son contexte" !
Mais voyons d'abord ce que disent les versets en question ! Il s'agit des versets 33 et 34 du chapitre V (Sourate de la Table). En voici d'abord le texte original :

 إِنَّمَا جَزَاء الَّذِينَ يُحَارِبُونَ اللّهَ وَرَسُولَهُ وَيَسْعَوْنَ فِي الأَرْضِ فَسَادًا أَن يُقَتَّلُواْ أَوْ يُصَلَّبُواْ أَوْ تُقَطَّعَ أَيْدِيهِمْ وَأَرْجُلُهُم مِّنْ خِلافٍ أَوْ يُنفَوْاْ مِنَ الأَرْضِ ذَلِكَ لَهُمْ خِزْيٌ فِي الدُّنْيَا وَلَهُمْ فِي الآخِرَةِ عَذَابٌ عَظِيمٌ (33) إِلاَّ الَّذِينَ تَابُواْ مِن قَبْلِ أَن تَقْدِرُواْ عَلَيْهِمْ فَاعْلَمُواْ أَنَّ اللّهَ غَفُورٌ رَّحِيمٌ (34)


Et voici la traduction française dans la version de Kazimirski (il donne une numérotation différente des versets, probablement parce qu'il en est ainsi dans l'édition utilisée dans sa traduction) :
37.Voici quelle sera la récompense de ceux qui combattent Dieu et son Apôtre, et qui emploient toutes leurs forces à com­mettre des désordres sur la terre : vous les mettrez à mort ou vous leur ferez subir le supplice de la croix ; vous leur couperez les mains et les pieds alternés ; ils seront chassés de leur pays. L'ignominie les couvrira dans ce monde, et un châtiment cruel dans l'autre.
38. Sauf ceux qui se seront repentis avant que vous les ayez vaincus ; car sachez que Dieu est indulgent et miséricordieux.
Pour comparaison, voici la traduction de Muhammad Hamidullah dans sa version "révisée" publiée par le Complexe du Roi Fahd pour l'Impression du Saint Coran  :
 33.La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s'efforcent de semer la corruption sur la terre, c'est qu'ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leurs mains et leurs jambes opposées, ou qu'ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l'ignominie ici-bas ; et dans l'au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment.
34. excepté ceux qui se sont repentis avant de tomber en votre pouvoir : sachez qu'alors, Allah est Pardonneur et Miséricordieux.
Ces deux traductions l'une par un orientaliste renommé et respecté, l'autre par un musulman érudit, publiée qui plus est par une institution officielle, ne sont données ici qu'à titre indicatif pour les lecteurs non arabophones. Comme toutes les traductions en général et a fortiori celles du Coran (comme en témoignent leurs différences), elles ne manquent pas de poser un certain nombre de problèmes dont certains ne sont que le prolongement des problèmes d'interprétation du texte dans sa version originale qui se sont posés aux exégètes arabes musulmans et qui sont reflétés dans leurs commentaires comme on le verra dans un moment. Contentons-nous de signaler que les deux traductions ne font ressortir le caractère violent des peines prescrites que partiellement, les verbes décrivant ces peines dans le texte d'origine (يُقَتَّلُواْ أَوْ يُصَلَّبُواْ أَوْ تُقَطَّعَ) étant construits suivant une forme emphatique qui indique l'intensité par le doublement de la consonne du milieu (فعّل) et qui n'a pas d'équivalent en français (une forme analogue est utilisée pour les adjectifs qui consiste à employer le suffixe -issime et qui est plus courante en espagnol et en italien). Ainsi, qattala, sallaba, qatta'a sont des formes renforcées de qatala, salaba, qata'a qui ne peuvent être fidèlement traduites par tuer, crucifier, couper, même si ses verbes et les actions qu'ils désignent sont déjà suffisamment violents et spectaculaires. D'ailleurs, il existe différentes solutions pour rendre le degré d'intensité conféré aux actions désignées par ces formes verbales et dont l'effet sémantique est plus qu'une simple nuance (une solution possible pour obtenir une traduction plus fidèle consisterait à traduire le premier verbe par le verbe massacrer, le troisième par découper ou couper en pièces et d'ajouter au second une locution comme sans merci...).
Comme indiqué plus haut, toute la polémique soulevée par l'intervention de M. Chourou a réduit le débat à une question de contexte. Pour répondre aux amis du député d'Ennahdha qui l'ont défendu en arguant du fait que ses propos ont été sortis de leur contexte, il suffit de reproduire les propres paroles de l'auteur telles que prononcées à l'assemblée



Pour qui comprend l'arabe, ces paroles ne laissent pas le moindre doute sur leur signification ni sur l'intention de leur auteur en citant les versets du chapitre V. Toute ambigüité possible est d'ailleurs levée par ce même auteur qui persiste et signe 24 heures plus tard dans une déclaration sans équivoque à une chaîne radio de la place (Je dois tous ces documents à l'article sus-mentionné de Boukornine. Malheureusement, je n'arrive pas à poster le fichier audio de l'échange sur Mosaïque FM ; je me contente donc de reproduire le lien fourni par Boukornine en espérant qu'il ne deviendra pas un lien mort rapidement.)*.
Le propos est clair. Les groupes qu'il a énumérés sont des criminels qui méritent d'être punis et la forme de la punition a été décrétée par Dieu lui-même dans les versets cités qu'on se doit d'appliquer. En le faisant, on ne ferait qu'exécuter la volonté d'Allah.
Ceux qui ont voulu récuser ces paroles ont cru bon eux aussi d'utiliser l'argument du contexte selon lequel tout le tort de M. Chourou réside dans l'invocation d'un texte coranique extirpé de son contexte pour l'appliquer à un contexte différent. Cette polémique autour du contexte remonte à l'éternel débat sur l'historicité du texte coranique et dans quelle mesure il s'agit d'un texte atemporel (valide pour toute époque et en toute circonstance non seulement dans son esprit, mais également dans sa lettre). Question dont tous ceux qui se sont efforcé de s'opposer au discours islamiste "de l'intérieur" ont fait leur cheval de bataille. Comme il n'est pas du tout dans mon intention d'apporter ma part à ce débat et encore moins ma prétention d'essayer de le trancher ni n'est-ce le but du présent article, je me contenterai d'indiquer que la nature supra-humaine du discours en question telle qu'impliquée par la teneur même de l'énoncé ainsi que par les modalités et les circonstances de sa constitution en texte (c'est à dire par son histoire) suffit, au moins, pour justifier le refus de la part de tout croyant d'accepter ou même de tolérer une approche historiciste. En termes simples, si le Coran se dit lui-même être la parole de Dieu qui s'adresse à tous les peuples et à toutes les époques et s'il a été constitué en texte (à travers tout le processus de collecte et de codification) en tant que tel et en tant que "constitution sacrée" pour tous les musulmans, il va de soi pour quiconque adhère à cette religion de ne pas admettre qu'on vienne lui raconter que l’interdiction de l'usure ou la permission de la polygamie étaient valables, éventuellement compréhensibles et peut-être même justifiées en terre de Hijaz au septième siècle ap. J.C., mais plus d'actualité en Tunisie ou en Egypte en 2012. J'ajouterai que c'est le propre de tout texte en général et des textes qui relèvent du credo ou sont traités en tant que tels (il en va des œuvres philosophiques et politiques et mêmes économiques d'un Karl Marx comme des livres dits révélés) d'être récupérables et manipulables à volonté. Il en est d'autant plus ainsi lorsque le texte en question use de différentes modalités discursives alternant le général et le spécifique, l'allusion et la mention explicite, passant sans transition de l'allégorie à la formule prescriptive... et que ce texte ne s'embarrasse pas de la multiplicité des positions sur une même question ni même des énoncés clairement contradictoires (à ce titre, les quelques six mille versets du Coran me sont toujours apparus comme une sorte d'immense étalage où tout un chacun peut trouver son bonheur : les végétariens, les carnivores, les diabétiques, les adeptes de régimes minceur ou sans sel... Chacun peut y trouver l'article qui lui convient le mieux et correspond à sa condition et à ses besoins, pourvu qu'il sache chercher.). De plus, il ne faut jamais oublier la notion de "légifération par l'exemple"  chère aux fuqahâ'. Si Allah a ordonné à son prophète d'épouser la femme de son fils adoptif Zayd, c'était en vue d'interdire l'adoption en général en toute contrée et à toute époque et non pas pour régler ce cas particulier ou pour satisfaire une lubie du premier cité... Du coup, le recours à l'argument du contexte dans le sens historique du terme pour invalider l'extrapolation impliquée par la citation de M. Chourou perd beaucoup de son efficacité si l'on prétend ne pas dépasser le cadre du dogme et de la loi islamiques.
D'ailleurs, une simple recherche montre combien il est vain d'essayer de cerner ce fameux contexte. En parcourant le long commentaire consacré par un auteur respecté et non controversé pour la majorité des musulmans comme Ibn Kathîr dans son Tafsîr, on apprend que ces versets ont été révélés à l'occasion des exactions commises par un groupe d'hommes qui étaient venus à Médine déclarer leur conversion à l'Islam au Prophète. Ce dernier, les voyant manifestement affectés par un mal étrange, leur suggéra de se soigner en buvant l'urine (sic) et le lait des bêtes provenant de l'aumône et confiées à la garde de l'un de ses esclaves, ce qu'ils firent et guérirent de leur maladie. Alors, ils tuèrent le berger d'une manière affreuse, prirent possession du troupeau et repartirent vers leur tribu. Une expédition fut, alors, dépêchée à leur poursuite et ils furent châtiés à peu près dans les termes décrits dans le verset 33 de la sourate la Table. Les nombreuses relations rapportées par Ibn Kathîr montrent un certain nombre d'incertitudes relatives au moment exact de la révélation (était-ce avant ou après l'application du châtiment), à son but (si c'était pour indiquer le châtiment à appliquer en la circonstance, pour confirmer a posteriori la validité de la décision prise par le prophète ou encore pour la "corriger" dans la mesure où il aurait également fait crever les yeux des coupables)  ainsi qu'au fait de savoir si les peines énumérées devaient être appliquées toutes à la fois ou bien telle ou telle d'entre elles selon le délit commis (comme il s'agit dans le cas concerné de plusieurs délits à la fois, le vol, l'assassinat, le fait de semer la terreur et éventuellement l'apostasie).... D'autres questions dont l'importance n'est pas moindre ne sont pas directement évoquées dans le commentaire d'Ibn Kathîr, mais seulement suggérées par ses explications. Il en est ainsi notamment du sens de l'opposition à Dieu et à son Messager désignée dans le texte d'origine par  محاربة et qui est traduite chez Kasimirski par "combattent" et par Hamidullah par "font la guerre". Le récit des faits tel que rapporté par les différentes sources citées par le commentateur n'indique rien de tel. Ce récit dans ses  différentes versions fait état d'un crime atroce (l'assassinat du berger), d'un délit tout à fait banal (le vol du bétail), éventuellement d'autres méfaits somme toute mineurs, mais aucune de ses versions ne mentionne une action organisée et pensée comme une opposition à Dieu ou au prophète, sans parler de les "combattre" ou de leur faire la guerre. D'ailleurs, il n'est même pas certain que les fautifs aient décidé de renier leur adhésion à l'Islam. Ibn Kathîr qui ne pouvait pas ignorer un tel problème s'empresse dès le début de son commentaire d'indiquer que المحاربة signifie المضادة والمخالفة, c'est-à-dire l'opposition à Dieu et au Prophète, voire simplement la divergence, et d'ajouter qu'elle peut inclure l'hérésie, le banditisme de grands chemins et le fait de terroriser les passants. Il en est de même pour يسعون في الأرض فسادا qui est expliqué comme une notion englobant différents méfaits y compris la corruption (là en encore, on retrouve l'écho de cette hésitation jusque dans la traduction toute officielle de Hamidullah)... Quoi qu'il en soit, l'explication offerte par le grand exégète du Coran par le biais de la relation de la circonstance présumée de la révélation ne laisse pas de dérouter le lecteur incrédule qui ne reprendrait pas à son compte la célèbre déclaration d'umar Iban Al-khattâb : "Dieu, il n'est d'autre choix que d'opter pour la foi des vieillards !".
Voilà, en effet une histoire sans queue ni tête aux éléments tout à fait décousus sans la moindre cohérence logique entre ses différents éléments constitutifs. En effet, on a d'abord du mal à concevoir la vraisemblance du comportement de cette bande de voyous qui sont si bien reçus par le prophète, bien traités au point d'être soulagés du mal méchant qui les affligeait et qui ne trouvent rien de mieux que de "mordre la main qui leur a été tendue" de la pire des façons, contrairement aux coutumes et aux règles morales bien connues parmi les arabes de l'époque, indépendamment des convictions religieuses, comme l'attestent des récits innombrables. On a encore plus de mal à s'expliquer la violence inouïe du châtiment prescrit dans le verset et infligé par le prophète aux fautifs selon les récits (digne des épisodes les plus noirs et des chefs les plus sanguinaires des dynasties ultérieures) et qui contraste fortement avec les faits et traits notoires de modération et de magnanimité qui ont toujours caractérisé le prophète de l'islam tels que rapportés par la tradition, même quand il y avait de quoi justifier une attitude plus sévère, de sorte que, de deux choses l'une. Soit la prétendue circonstance en question a été fabriquée de toutes pièces, ce qui n'est guère invraisemblable en dépit de la multitude des versions du même récit et les chaînes de transmission invoquées, quand on tient compte de toute la problématique qui entoure toute l'historiographie arabo-musulmane. Soit le récit en question est incomplet. Il ne nous informerait que d'une partie de la vérité, l'autre partie qui aurait été occultée l'aurait été à dessein pour des raisons qu'on ignore ou involontairement par simple fait d'ignorance, d'oubli ou d'imprécision....
Moralité, la bataille du contexte est une bataille pour le moins incertaine sinon totalement vaine et en tout cas perdue d'avance.  Au mieux, le contexte est trop incertain pour faire foi. Au pire, si l'on prend les explications de l'exégèse coranique pour de l'argent comptant, il justifierait la position de M. Chourou dans la mesure où il ferait de l'application de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des faits sanctionnés une pratique tout à fait valide confirmée non seulement par le texte sacré mais également par... l'histoire à travers la tradition du messager de Dieu.
à suivre
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* : Ma crainte s'est malheureusement avérée justifiée puisque le lien en question a bel et bien disparu et pas moyen d'en retrouver la trace. La conversation date du 24 janvier 2012.

Wednesday, January 11, 2012

L'affaire de la présidence du "comité de coordination et de la rédaction de la constitution"

En bon arabe tunisien, cela s'appelle صْبُع القابْلَه
Ce n'est pas très élégant, je le sais et je m'en excuse. Ceux qui ont l'habitude de me lire savent qu'il n'est pas dans mes habitudes de céder facilement à la vulgarité. Malheureusement, parfois, on ne vous laisse pas vraiment le choix. Et puis, que voulez-vous ? Des siècles de patriarcat, de machisme et de morale puritaine et hypocrite à sens unique, ça laisse des traces, y compris et d'abord dans la langue. Et nous sommes loin d'être les seuls...
Ceux qui ne sont pas au courant de la polémique ou ne voient pas de quoi il s'agit, peuvent en avoir un bref aperçu (en français) sur ce lien et, pour plus de détails, écouter le débat (en arabe) posté sur la même page. Quant au dicton populaire convoqué pour illustrer la signification et la portée de cette pseudo-affaire, si vous ne connaissez pas, laissez tomber ! Le message est suffisamment clair sans effets de rhétorique douteuse.

Friday, January 6, 2012

Drame en trois actes : hier la trahison, aujourd'hui (encore) la misère, demain le gouffre

Parmi les trois actes en question, seul le premier compte vraiment. Le reste est parfaitement prévisible et rentre dans le cours normal des choses.
Je l'ai déjà dit plusieurs fois et je ne le dirai jamais assez. Quels que soient les torts passés ou à venir que les islamistes auront déjà causés ou causeront encore au pays, quelle que soit l'ampleur des dégâts qui en résulteront, il n'y a aucune raison pour s'en étonner et encore moins pour s'en offusquer. Ces gens ne font qu'agir en pleine cohérence avec leur vision du monde et leur système de valeurs. Ils ont au moins ce mérite qui n'est d'ailleurs pas des moindres. Seuls ont tort ceux qui se montrent incapables de saisir l'essence de telle vision et tel système et d'en voir toute la portée ou, pire, refusent de voir leur réalité aveuglante, parfois avec une obstination sidérante. Ce n'est pas la faute aux islamistes si leurs vis-à-vis sont aveugles, bornés ou plus prosaïquement enchaînés à leurs intérêts tellement bas, tellement mesquins, tellement immédiats que bientôt s'avérera leur futilité et leur caractère éphémère au point de révéler à ces dindons de la farce qu'ils n'ont, en fin de compte, servi personne, même pas leur ego propre qu'ils avaient l'illusion de servir ou qu'ils croyaient d'une clairvoyance à toute épreuve, à même de leur donner raison contre la raison même. La chute n'en sera que plus spectaculaire et le réveil n'en sera que plus douloureux. Cette issue ne fait guère de doute dans mon esprit, même si je souhaite sincèrement me tromper chaque fois que je me mets dans la peau de l'oiseau de mauvais augure...
Ce que les islamistes ont pu faire depuis les élections et ne manqueront pas de le faire dans les prochains mois n'a été rendu possible qu'à la faveur de la véritable trahison historique (Ici, il n'est même pas question de compromis car un compromis, par delà les suspicions, controverses et contestations qu'il peut soulever, est toujours basé sur une transaction ; c'est du donnant donnant.) de ceux qui en sont les alliés indéfectibles. Car, si Ennahdha a bien gagné les élections du 23 octobre haut la main, qu'elle en est sortie avec une majorité claire à l'assemblée constituante qui le place devant tous les autres partis, mouvements ou même toutes les coalitions possibles - je l'ai dit et je le répète volontiers, c'était là un fait indéniable qu'il ne sert à rien de nier ou minimiser -, la majorité en question, aussi confortable fût-elle, n'en était pas moins une majorité relative, qu'elle fût d'ailleurs envisagée en termes de voix ou en termes de sièges, et qui ne pouvait en aucun cas à elle seule lui permettre de gouverner le pays ni de faire passer le moindre texte de loi. Ses dirigeants l'ont compris qui se sont empressé avant les élections mêmes de tisser les alliances qu'il fallait et d'en payer le prix. Mais, en bons commerçants, ils n'avaient aucune raison de dilapider leur capital ou de faire de l'excès de zèle quand le vendeur était si accommodant et était prêt à se contenter de peu.
Imaginez ce qui aurait pu se passer si cette alliance trilatérale n'avait pas eu lieu ! On a parfois dit que si les islamistes avaient récolté 40 % des sièges, il y a les 60 % restants qui ne leur sont pas acquis. Si ce n'est pas tout à fait vrai, ce n'est pas tout à fait faux non plus. Il est vrai que la question ne peut être considérée en des termes purement arithmétiques. Les 60 % en question sont trop disparates, trop éparpillés pour pouvoir dégager une coalition viable contre Ennahdha ou à ses dépens. Aucun scénario d'alliance n'était sérieusement et raisonnablement envisageable si ce dernier ne devait en faire partie. Il n'est pas du tout dit que, dans l'hypothèse d'un double refus de la part du CPR et d'Ettakattol, il n'aurait pas pu monter une autre coalition. D'abord, en dépit des apparences qui sont, on le sait, souvent trompeuses, un rapprochement avec la troupe de l'étonnant Hechmi El Hamdi, qui, faut-il le rappeler, est sorti tout droit du giron islamiste, n'était, n'est pas du domaine de l'impossible. Il suffit de regarder de près son discours, son registre et ses promesses électorales clés qui ont contribué à son succès (díwánu-l-madhálim, sundúqu-z-zakát...). D'autres au langage et aux orientations nettement moins marqués du sceau religieux ont succombé sans aucune résistance au charme du cheikh sans même qu'il ait à leur faire la moindre cour. Quant à ce dernier et à son mépris affiché (peut-être trop voyant) pour l'ami d'hier, par ailleurs pleinement justifié au vu de ce qu'il lui a fait dans le dos, qu'on se détrompe. Il n'aurait pas eu tant de mal à ravaler sa diginité si les circonstances l'avaient exigé. En bon politicien, il sait que le métier ne s'embarrasse pas d'états d'âme moralisants. Mieux encore, Pour atteindre la majorité absolue, les islamistes n'avaient besoin que d'une vingtaine de voix supplémentaires qu'il auraient très probablement pu obtenir sans avoir nécessairement à tendre la main à celui qui a jadis baisé celle de leur bourreau. On sait aujourd'hui que l'emprise de M. Hamdi sur ses "adeptes" n'est pas aussi ferme qu'il pouvait lui-même le croire et rien n'empêchait M. Ghannouchi de ramener vers ses rangs quelques brebis égarées. On sait aussi que le nombre des députés qui ont voté la confiance au gouvernement Jebali ou pour tel ou tel texte promu par Ennahdha était souvent supérieur à la somme des voix des trois partis. En d'autres termes, tous les représentants de petits partis ou "indépendants" ne sont pas nécessairement hostiles au projet islamiste.... En somme, ces derniers n'auraient pas éprouvé des difficultés insurmontables à trouver les 109 voix nécessaires à leur gouvernement, à leur programme et à leurs textes.
Certes. Mais cette majorité aurait été fragile et incertaine. Plus important, l'opposition en face avec deux groupes relativement forts (ceux du CPR et d'Ettakattol), voire trois (en comptant le PDP) et d'autres d'appoint aurait eu son mot à dire sur toutes les questions importantes et rien de décisif ne serait passé sans son aval. J'irai même plus loin. Si les Marzouki et Ben Jaâfar font réellement confiance à M. Ghannouchi et consorts et qu'ils sont sincèrement convaincus de la faisabilité de l'association avec eux et même de la nécessité de leur apporter leur soutien pour qu'ils puissent diriger le pays en cette phase délicate après que l'électorat les a plébiscités, rien ne les empêchait d'opter pour un soutien passif ou plus précisément non participatif. Ils auraient pu parfaitement conclure avec eux un accord aux termes duquel ils apportaient leurs voix au gouvernement, au programme et aux textes en question non pas contre des postes ou des portefeuilles, mais contre la prise en compte d'un certain nombre de principes et de choix fondamentaux dans la composition de ce gouvernement, la conception du programme et l'esprit et la lettre des textes. Dans un tel scénario, il n'auraient peut-être pas eu droit aux honneurs. Ils n'auraient pas eu le loisir de tirer les marrons du feu. En revanche, ils auraient eu tout à gagner et absolument rien à perdre, quelle que soit l'attitude d'Ennahdha. Dans le meilleur des cas, en accordant à ce dernier tout le bénéfice du doute possible et imaginable, leur présence à ses côtés aurait permis d'avoir un processus de décision réellement pluriel et l'aurait contraint dans une large mesure à tenir ses actions plus proche des ses discours que de sa pensée. Si le parti islamiste devait d'aventure confirmer tout le mal que je pense de lui et soit refuser purement et simplement d'accepter un soutien sans compromission et sans transigeance de la part des diligents alliés soit encore l'accepter tout en usant de manoeuvres, de tergiversations et de louvoiement, le citoyen, observateur attentif aujourd'hui, (à nouveau) électeur demain, aurait compris qui cherche réellement à le servir et à servir le pays et qui n'avait d'yeux que pour ses propres intérêts. Imaginez seulement tout le mal qu'il en aurait coûté à M. Ghannouchi et ses amis et tout le bien qu'auraient récolté les Marzouki, Ben Jaâfar et compagnie ! A la limite, cela aurait bien mieux servi jusqu'aux desseins des uns et des autres de finir leurs jours à Carthage ou au perchoir du Bardo avec les honneurs et une adhésion populaire réelle, sans besoin de la bénédiction de Saint Bhiri, Jebali ou Dilou...
Hélas, il n'en fut rien. On ne fait malheureusement pas l'histoire avec des si. Ce qui s'est réellement passé et continue de se passer, pour quiconque a suivi les travaux de l'assemblée constituante lors de la discussion et l'adoption de la petite constitution, l'intronisation du gouvernement, l'adoption escamotée du budget et de la loi de finances (le texte est toujours introuvable sur le net !) et encore aujourd'hui celle du réglement intérieur, dispense de tout commentaire. Ennahdha fait passer tout ce qu'il veut, absolument tout, avec le consentement honteux, servile, presque coupable des alliés. Les Chebbi, Jribi, Bettayeb, Dahmani, Moussa, Brahim et autres moins ou, désormais, plus connus tel ce sympathique Gassas, ont beau tantôt protester avec véhémence ou même boycotter les débats et/ou le vote, tantôt essayer d'amadouer les valeureux vainqueurs, les flatter ou, parfois, même les supplier. Rien à y faire ! Les présidents de commissions nahdhaouis font la pluie et le beau temps. La première vice-présidente qui dirige désormais la quasi-totalité des séances pour laisser le président vaquer à ses tâches mondaines ou semi-mondaines (d'ailleurs, il est à peine moins complaisant à l'égard des députés d'Ennahdha et moins arrogant vis-à-vis de leurs contradicteurs quand il est là) règne en maîtresse incontestée qui impose les ordres du jour, donne la parole, la coupe ou la retient, statue sur tout et sur rien...
Dans le titre, je parlais de misère. C'est d'abord celle de la politique. Car, finalement, qu'est-ce qui a changé en Tunisie depuis l'année dernière ? Qu'est-ce qu'on a de plus, de moins ou de différent par rapport à ce qu'on avait déjà ou qu'on n'avait pas il y a exactement un an jour pour jour ? On a "perdu" un tyran et son clan de sangsues. On ne peut pas dire aujourd'hui qu'on a l'équivalent de Ben Ali, de Layla ou des Trabelsi, du moins pas encore, probablement pas avant longtemps ou plutôt un certain temps. Cela ne veut pas dire pour autant qu'on a perdu toute la cohorte de soutiens, de suppôts et d'exécutants qui rendaient la mainmise de l'Unique et de son clan possible. Il suffit de regarder les postes clef de l'administration, de l'économie et du pouvoir local et même central, sans parler de ceux qui n'ont pas de pouvoirs officiels mais qui n'en continuent pas moins de faire ce qu'ils ont toujours su faire si bien et avec autant d'efficacité : tirer les ficelles. La misère sociale, le marasme économique, le chômage, les déséquilibres, la pauvreté, la déliquescence sécuritaire, la frustration et le ras-le-bol, ils étaient tous là et y sont toujours, souvent intacts, parfois encore plus exacerbés. Bien sûr, il n'est dans le pouvoir d'aucun gouvernement d'aucun bord, d'aucune obédience, toutes tendances confondues, qu'il soit islamiste, nationaliste, marxiste ou simplement social-démocrate-libéral, de changer cela en un jour, un mois ou un an, voire même en plusieurs années. Mais on ne voit même pas le début d'un véritable changement ni une ébauche ou les prémices d'un quelconque changement qualitatif. Quant au plan politique, on a bien une assemblée légitime qui tire sa légitimité d'élections libres et pluralistes, même si avec la participation de la moitié de l'électorat potentiel seulement. C'est une règle universelle du jeu démocratique. Les deux composantes du pouvoir exécutif, à savoir la présidence de la république et le gouvernement, même si l'occupant de la première n'a pas été désigné par le suffrage universel, sont l'émanation incontestable de cette légitimité. Seulement, le fonctionnement de cette assemblée, ses travaux, la manière dont les questions majeures y sont traitées et tranchées sont autant de signes d'une mascarade politique, dignes des pires parodies de la démocratie qu'on a pu voir en Tunisie ou ailleurs avec cette grosse différence que, par le passé, personne ne prenait le jeu politico-parlementaire au sérieux. On savait que l'assemblée était fantoche, le gouvernement un piètre jeu de pions sans pouvoir réel, la politique factice, tout se décidant dans les salons ou dans les têtes d'une poignée de prédateurs et son exécution confiée à leurs laquais. Or, aujourd'hui, la farce a des allures de sérieux et les dupes qui n'ont pas pu placer le moindre mot sur les pouvoirs exorbitants du chef du gouvernement ni sur les qualification et qualités réelles ou présumées de tel ou tel ministre ou l'absence de programme de gouvernement digne de ce nom, ceux-là même qui n'ont même pas eu le temps de lire le texte de la loi de finances qu'ils ont voté bon gré mal gré, ont le toupet de venir nous entretenir d"'open gov", un prétendu outil de transparence et de participation du citoyen au pouvoir. Comme s'il suffisait d'une locution anglaise (lisez américaine) flanquée d'une contraction pour faire savant et dans le coup (Il paraît qu'ils ont ça au Kenya et au Rwanda, "alors qu'on est meilleur que ces pays-là". La belle affaire ! Pour combien de temps encore ? Cela me rappelle notre football, même si, maintenant, on a le "joueur du siècle" à la jeunesse et aux sports.), alors que ces chers députés sont les premiers à avoir drôlement besoin de bénéficier desdites transparence et participation.
Et demain, de quoi sera-t-il fait ? Pour moi, toutes les conditions, tous les signes du gouffre dont je parlais dans le titre sont réunis. Je peux me tromper. Certes. Je l'espère même de tout coeur, même si cela devait donner raison aux barbus du dehors et du dedans et à leurs zélés alliés et me donner tort. Je l'espère vraiment, sincèrement, pour les pauvres bougres jeunes et moins jeunes qui n'ont d'autre choix que celui de vivre le mal et non pas seulement vivre avec lui. Puissé-je être à jamais damné si je ne le souhaitais pas ardemment !

ثَكِلَتني أمّي إن لم أَتَمَنَّ أن تُسَفِّهَني الأحداثُ وتُثبٍتَ صٍدقَهُم وزُورَ ما أَزعُمُ ؛ ولكن ما كل" ما يتمنّى المرءُ يُدرِكُهُ، وإن كانت الأمنيّةُ حتفَهُ وكان التّمنّي صادقا.