Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Sunday, April 3, 2011

Laïcité, islam et politique : retour sur quelques errements et contre-vérités

Ce retour est devenu nécessaire, tant les attaques contre tout ce qui s'en rapproche ou tourne autour, non seulement contre ceux qui se disent favorable au principe, mais même ceux qui ne font que soulever la question, sont multiples, intenses et féroces. D'ailleurs, phénomène remarquable, ces attaques viennent de toutes parts ; elles ne proviennent pas seulement de là où c'est prévisible et, à la limite, compréhensible (du moins en se mettant dans la peau des concernés), à savoir les islamistes, mais même de la part de personnes apparemment modérées qui se disent seulement musulmanes. Pourquoi cet acharnement "de coalition" ? Pourquoi ce raidissement dès qu'on évoque la question qui revient à refuser le débat même, le déclarant inopportun, inapproprié ou simplement sans objet ? La réponse qui me semble évidente réside dans toutes les horreurs et les fausses-vérités qu'on a pu raconter sur le compte de la laïcité et des laïcs dans un semblant de débat où l'ignorance le dispute à la mauvaise foi.
La première de ces contre-vérités est celle explicite ou sous-jacente aux commentaires et pseudo-analyses qui, en opposant islam et laïcité ("êtes-vous pour l'islam ou pour la laïcité ?", "la bataille entre islam et laïcité"...) et en parlant des "adeptes de la laïcité", présente la laïcité comme une doctrine, une idéologie, voire un dogme, alors qu'il ne s'agit que d'un concept, tout au plus d'un principe comme le principe de liberté, d'égalité ou d'équité. Il suffit de voir l'identité de forme avec ces termes et la manière dont le mot laïcité est construit et qui le distingue de tout ce qui ressemble à un dogme, une idéologie, une doctrine ou même un courant de pensée. On parle de "laïcité" et de "laïcs" ; on ne parle pas de "laïcisme" ou de "laïcistes", les suffixes -isme et -iste étant ceux utilisés pour désigner ce qui constitue un système de pensées ou de croyances plus ou moins clos, parfois avec une connotation péjorative (cette confusion se trouve accentuée lorsque ces termes sont transposés en langue arabe par l'effet d'un simple fait de langue, dans la mesure où un même suffixe "ـ يّة". est indistinctement utilisé dans la construction des mots servant d'équivalents à ceux de l'une ou l'autre famille de mots français. Ainsi dit-on "حرّيّة" et "علمانيّة" ou encore "لائكيّة" pour traduire "liberté" et "laïcité"  et "اشتراكيّة", "شيوعيّة"...etc pour traduire "communisme", "socialisme"...). Loin d'être un système d'idées ou de préceptes globalisants, une vision du monde, une proposition intégrale d'un mode de pensée et d'action pour façonner le monde ou la société qui a une réponse à tout et offre des propositions pour tous les domaines, la laïcité, disais-je, est un simple concept, un principe qui depuis son origine n'a jamais eu d'autre prétention que celle de vouloir réduire, puis annihiler le pouvoir clérical pour aboutir dans son acception moderne à la notion de "séparation de l'église et de l'état". En d'autres termes, il s'agit simplement d'empêcher toute interférence entre ces deux instances de pouvoir, l'une temporelle, séculière, l'autre religieuse, dite d'origine divine ou se présentant comme telle. Etre laïc ne veut nullement dire nécessairement  être anti-musulman en particulier ou anti-religieux en général, mais seulement anticlérical. D'où le caractère fallacieux de la prétendue opposition entre laïcité et islam et celui tendancieux de la démarche de ceux qui entretiennent le mythe de cette opposition.
Bien sûr, on va se hâter de nous dire que, le concept de laïcité n'a pas de raison d'être chez-nous (en terre d'islam) puisqu'on n'a ni église ni clergé ! On ne les a peut-être pas au sens propre du terme. Mais, en y regardant de plus près, on verra aisément qu'on n'en est pas dépourvu. Car qu'est-ce qu'une église et un clergé sinon une institution et des hommes auto investis du triple rôle de gardiens de la religion, d'intermédiaires entre les hommes et une instance divine dont ils sont les portes-parole, leur rôle étant d'en expliquer les directives et de veiller à leur bonne application ? On a pu dire que ce qui distingue le chiisme du sunnisme en islam, c'est que le premier instaure une instance intermédiaire entre dieu et les hommes, une espèce de clergé, là où le sunnisme n'en prévoit point.  Affirmation facile rendue possible par la figure de l'imam infaillible dans la doctrine chiite qui n'a pas d'équivalent en islam sunnite, mais qui se trouve démentie par les faits car ce rôle de médiation, sans être cristallisé au niveau d'une seule personne, n'en est pas moins présent sous forme plus diffuse, plus insidieuse. Il est rempli par le mufti et dari-l-'ifta', par le juge charaîte ou qadhi, par les jurisconsultes dits "savants"  (oulémas) ou fuqaha et, au sein des mouvements et partis islamistes modernes, par les dirigeants du mouvement tantot dénommés emir, tantôt murshid ou guide. Le point commun entre tous ses personnages, c'est qu'ils ont pour rôle d'interpréter, d'expliquer et d'appliquer et/ou de faire appliquer un ensemble de préceptes dits d'origine divine et par là même incontestables, immuables et infaillibles. Dans les deux cas (sunnite et chiite), l'infaillibilité découle d'abord du caractère divin du précepte. Elle est inhérente à la source textuelle, le coran qui est la parole de dieu, et celle initialement verbale puis textualisée, le hadith, qui est la parole (et les faits) de son envoyé, le prophète Muhammad. Maintenant, si, dans la doctrine chiite, cette infaillibilité se trouve prolongée sous une forme concentrée dans la personne de l'imam ma'sum (infaillible, littéralement "immune à l'erreur"), chez les sunnites, elle est prolongée et soutenue sous forme plus ou moins diffuse chez l'ensemble des protagonistes déjà mentionnés, Ce sont ces protagonistes qui, à l'époque classique dans les différents états islamiques depuis les omeyyades , comme à l'ère moderne, aussi bien dans les états musulmans qui se réclament clairement et plus ou moins exclusivement de la charia (telle l'Arabie Saoudite) que dans la pensée des mouvements islamistes, ont pour rôle incontournable d'interpréter, d'expliquer et d'appliquer et faire appliquer les préceptes de l'islam édictés dans le livre de dieu et la tradition de son prophète (que celui qui croit pouvoir affirmer le contraire et le démontrer le fasse !), 
La laïcité a au premier chef pour simple vocation de rendre impossible que ces intermédiaires, ces espèces de représentants de dieu sur terre, qu'il soient organisés et désignés en "clergé" ou non, puissent un jour se faufiler dans les instances de l'état et en prendre possession sur la foi du fait que l'islam est inscrit comme religion de l'état dans la constitution même qui fonde cet état. Tout l'enjeu est là, ni plus ni moins. Il ne s'agit ni de renier le caractère majoritaire des musulmans dans le pays ni de combattre l'islam ni même de lui refuser l'accès au champ politique ou de le confiner pour ses adeptes dans le seul domaine privé du culte. Tout au plus, le principe de laïcité permet-il de refuser la mainmise sur l'état d'une seule religion et de ses adeptes, fussent-ils majoritaires, au détriment des adeptes des autres religions ou de ceux qui n'ont pas de religion du tout, même s'ils sont minoritaires, en les évacuant à la périphérie de cet état ou en les confinant carrément dans sa marge. C'est pour cela que ceux qui sont favorables à ce principe peuvent se rencontrer aussi bien parmi les non-musulmans que parmi les musulmans qui ne sont pas nécessairement islamistes sans qu'il n'y ait là la moindre contradiction, ce qui devrait suffire à balayer telles extravagances que celles qui consistent à prétendre que l'instauration d'un état laïc reviendrait à faire triompher l'athéisme aux dépens de l'islam ou encore exposerait le pays à toutes sortes de vices, comme si le vice était inconnu aux musulmans ou, à supposer que le fait d'être musulman suffisait pour être vertueux, qu'eux seuls avaient le monopole de la vertu... Mais passons sur ces insanités et mièvreries qui ne méritent même pas qu'on s'y attarde et contentons-nous à ce propos de préciser encore une fois que la laïcité comme notion n'est pas en soi antinomique avec la religion et le fait religieux qu'elle ne nie nullement Comme le montre l'histoire du terme, c'est même le contraire qui est vrai.
L'idée du présent article m'est venue à la suite d'un commentaire de mon ami et professeur Salah Gasmi (arabionaute, que je salue au passage et à qui je le dédie) en réaction à mon article intitulé Catch-22 où il écrivait, à mon grand étonnement que les mots "laïc" et "sunnite" étaient synonymes ("sunnite"="laïc", pour reprendre ses propres mots) ! En partie choqué par le caractère provocateur et apparemment extravagant ou, pour le moins, fantaisiste de cette affirmation, mais en même temps sachant que Salah n'a pas l'habitude de parler à la légère, j'ai décidé de m'informer en faisant le minimum qu'on doit faire en pareille circonstance, à savoir ouvrir le dictionnaire et rechercher la définition du mot "laïc" et c'est là que j'ai compris d'où provenait ce parallélisme étrange dans la tête de celui qui l'a conçu à l'origine, Salah ayant désigné sa source comme étant un article paru dans la revue Al-qantara publiée par l'Institut du Monde Arabe. L'auteur de l'article en question aura probablement basé sa "trouvaille" sur cette idée reçue évoquée plus haut et répandue dans certains milieux  européens prétendument informés et spécialisés en islamologie qui laisse entendre qu'à la différence de l'islam chiite avec son imamat, l'islam sunnite ne laisse pas de place à la formation d'un quelconque clergé. Vous allez me dire : mais quel rapport cela a-t-il avec la laïcité ? Et c'est là que réside la grande surprise qui en est une au moins pour celui qui vous parle. Comme je l'ai déjà indiqué et essayé  de l'expliquer, contrairement à ce qu'on croit généralement ou à ce qu'on essaye de faire croire aux autres, "laïc" signifie anticlérical et non antireligieux. Le titre même de la fameuse loi  de 1905 qui a instauré la laïcité en France l'atteste. Mais cette affirmation est étayée par une preuve encore plus décisive dans l'étymologie du mot les circonstances de sa naissance et de son développement. Un peu de culture ne nuit point. Voici ce qu'on peut lire notamment dans Le Grand Robert :

laïque ou laïc, ïque [laik] adj. et n.
ÉTYM. 1487; lat. ecclés. laïcus.  Lai.
v
 1  Qui ne fait pas partie du clergé. — Spécialt. Qui n'a pas reçu les ordres de cléricature, en parlant d'un chrétien baptisé. | Les personnes laïques, les chefs laïques et ecclésiastiques (cit. 2) d'une paroisse, d'un peuple. | Tribunal, juridiction laïque. è Séculier.
 1  Ainsi ce qu'on gagna dans la Réforme en rejetant le pape ecclésiastique, successeur de saint Pierre, fut de se donner un pape laïque (…)
Bossuet, Hist. des variations…, V, viii.
¨ N. | Un laïc, un laïque. | L'ordre des laïques ( Bailli, cit.). — REM. On écrit indifféremment un laïc, des laïcs ( Concret, cit. 3 et gêner, cit. 15, Benda; enfermer, cit. 10, Suarès) et un laïque ( Arracher, cit. 15, Renan; critique, cit. 27, Gautier; fortune, cit. 38, Stendhal).
 2  Les pasteurs qui ont fondé leurs Églises (des protestants) étaient presque tous de simples laïques (…)
Fénelon, t. II, p. 5, in Littré.
 3  Les Messieurs de Port-Royal n'étaient point des clercs. Les uns ne s'en jugeaient pas dignes; les autres y répugnaient de nature, ou par état. Ils formaient une espèce de tiers ordre. Ils étaient à peine des laïcs, et ne voulaient point être des moines.
André Suarès, Trois hommes, «  Pascal  », p. 16.
 4  Aujourd'hui la partie est jouée; l'humanité est nationale; le laïc a gagné (…) Le clerc n'est pas seulement vaincu, il est assimilé (…) Toute l'humanité est devenue laïque, y compris les clercs.
Julien Benda, la Trahison des clercs, p. 244.
¨ Par ext. | La société laïque, par oppos. au clergé (cit. 3). | Condition laïque. | Rendre à la vie laïque. è Séculariser; laïciser. | Habit laïque.
 5  Madame de Warens imagina de me faire instruire au séminaire (…) Il (l'évêque) permit que je restasse en habit laïque jusqu'à ce qu'on pût juger, par un essai, du succès qu'on devait espérer.
Rousseau, les Confessions, iii.
 2  Fig. (avec un nom désignant ordinairement un ecclésiastique, un ou des religieux). | Missionnaire laïque. | Congrégation (cit. 3), couvent laïque. — a Allus. hist. Un saint laïque, expression appliquée à Littré par Pasteur (Discours de réception à l'Académie, 27 avril 1882).
 6  Nous sommes (Diderot et moi) des missionnaires laïques qui prêchons le culte de sainte Catherine (…)
Voltaire, Lettre à Catherine II, 132, 1er nov. 1773.
 3  Qui est indépendant de toute confession religieuse (è Laïcité). | L'État laïque ( Immixtion, cit. 1). | L'enseignement laïque ( Instruction, cit. 6, Constitution de 1946). — Contr. : confessionnel. | École primaire laïque. — N. f. Fam. | La laïque ( La communale*, la maternelle*).
 7  (…) selon les maximes de l'Assemblée, si, devant l'État laïque, les croyances et les cultes sont libres, devant l'État souverain les Églises sont sujettes.
Taine, les Origines de la France contemporaine, iii, t. I, p. 278.
 8  À l'école, Armand a haï ses condisciples. Il avait le travail facile, mais sous la table, en détestation de la laïque, il disait son chapelet.
Aragon, les Beaux Quartiers, I, ix.
v
CONTR. Clerc, ecclésiastique, congréganiste.Hiératique (1.), religieux.
DÉR. Laïquement.V. Laïciser, laïcisme, laïciste, laïcité.
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LAÏQUE, LAÏC, LAÏQUE, adj.

... et dans Le Trésor de La Langue Française, disponible sur internet, on lit encore :


LAÏQUE, LAÏC, LAÏQUE, adj.
A. 1. Qui n'appartient pas au clergé ni à un ordre religieux. C'est l'aristocratie laïque qui a maintenu l'indépendance de la société à l'égard de l'Église (GUIZOT, Hist. civilisation, leçon 10, 1828, p. 12).
(...)
1. Le nom de laïque fut inventé pour distinguer l'homme qui n'étoit pas engagé dans les ordres du corps général du clergé.
CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 368.
Emploi subst. L'ardeur des choses divines est plus grande dans les laïques que dans les hommes du clergé (VIGNY, Journal poète, 1843, p. 1199). Pour un religieux, et même pour un simple laïc, s'il est fervent, écrire signifie d'abord servir (MAURIAC, Galigaï, 1952, p. 170). Nous ne savons à peu près rien de la volonté expresse de Dieu (je parle pour nous autres laïcs), sinon qu'il veut que nous soyons saints (GREEN, Journal, 1955, p. 144). V. clerc ex. 1.
2. Qui appartient, qui est propre au monde profane ou à la vie civile. Devoir laïc; morale laïque; rendre à la vie laïque. Il est de condition laïque (Ac.). Pourquoi pas une charité laïque? Comment laisser encore au clergé ces deux armes, ces deux omnipotences, la charité et l'éducation? (GONCOURT, Journal, 1858, p. 483). Si le mot n'était pas trop laïque, je dirais volontiers qu'ils ont une distinction particulière (BREMOND, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 185). La bonne foi est une vertu essentiellement laïque, que remplace la foi tout court (GIDE, Journal, 1927, p. 868)...

Excusez ces larges citations, mais je crois qu'elles valaient la peine d'être reproduites car non seulement elles confirment ce que j'avançais plus haut, mais elles montrent en plus que le mot laïc tel qu'il est né et s'est développé s'est formé à l'intérieur même de la religion chrétienne et non pas en dehors d'elle et, encore moins, contre elle en tant que religion.
Une autre mystification consiste dans l'affirmation que la laïcité est un concept totalement étranger à notre société et à notre culture qui nous vient "d'occident".
Mais, d'abord, quel occident ? Pour ne citer que deux exemples, faut-il rappeler que cette notion de laïcité est totalement caduque dans un pays comme l'Angleterre où le souverain (en ce moment la Reine Elisabeth) est le chef de l'église anglicane et que,  si le principe laïc est présent dès les origines, aux Etats-Unis, les références religieuses ont toujours été bien présentes dans le discours et l'action politique des gouvernants, à commencer par les présidents successifs (le discours messianique de Georges W. Bush n'est nullement une exception), pour ne citer que ces deux cas notables, mais on peut multiplier les exemples à volonté. A moins que je ne me trompe, Ii ne s'agit là ni d'une notion "occidentale" ni même européenne, mais simplement ou, tout au moins essentiellement, française.
Mais, par-delà ces précisions certes non négligeables, il convient d'interroger davantage cette notion "d'occident". Occident par rapport à quoi, à qui ou plutôt par rapport "à où" si l'on peut dire ?
Géographiquement parlant, la France comme l'ensemble de l'Europe occidentale, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, se situe au nord par rapport à la Tunisie ainsi qu'à l'ensemble du Maghreb, tiens, qui signifie lui-même "occident" ! Il ne s'agit nullement d'un simple jeu de mot. Nos contrées ont été ainsi désignées justement par opposition à l'orient musulman et en se situant dans la perspective de ce dernier (l'inverse est également vrai, la notion d'orient n'ayant vraiment de sens que lorsqu'on se place dans notre perspective à nous ou celle de l'Europe). Le concept et l'appellation "d'occident" pour désigner l'Europe occidentale ont donc eux-mêmes été conçus ailleurs (en orient musulman) et nous nous sommes contentés... de les importer en les reprenant à notre compte. En d'autres termes, pour condamner une idée comme venant d'ailleurs ("d'occident"), il a fallu aller chercher ce qui s'écrit et se dit ailleurs (en orient , notre orient à nous). Drôle de critique qui fonde l'un de ses arguments majeurs sur une géographie truquée et qui use et abuse du même procédé qu'elle prétend condamner et combattre, à savoir l'importation d'idées et de notions conçues ailleurs ! Faut-il remarquer que ce souci de la localisation qui rejette ce qui a été conçu par d'autres ailleurs ne s'applique qu'à la topologie ou à la géographie et qu'il se trouve totalement inversé lorsqu'on se place sur la ligne du temps ou dans le domaine de l'histoire où les mêmes personnes ne voient aucun mal à vouloir nous imposer ce qui a été conçu par d'autres dans une autre époque que la notre comme si la distance géographique qui se mesure par centaines de kilomètres était plus grande que celle temporelle qui se mesure par centaines d'années ?...
Cette analyse est d'autant plus importante à faire que l'argument massue de "la chose importée d'occident" est l'argument de prédilection qu'on sort à tous les coups pour balayer d'un revers de main tout ce qui dérange ou ne plaît pas à certains ordres établis. Pour mémoire, c'est le même argument qui a été utilisé tour à tour contre les droits de l'homme, les libertés fondamentales, l'égalité des sexes, la démocratie et j'en passe. C'est ce même argument qui revient dans les discours et les écrits de bien des islamistes, mais également dans les déclarations et prises de positions de ces altesses du golfe pétrolier et jusqu'à ce cher Kadhafi !
D'autres choses bien nombreuses, des idées, des notions, des objets et j'en passe, ont été conçues ailleurs, souvent dans ce même "occident" tant abhorré. Pourtant, elles ne sont pas rejetées avec la même virulence.ou même pas rejetées du tout. Parfois, elles sont volontiers adoptées voire prisées et chéries comme si on les avait toujours eues. Pensez aux notions de "progrès", de "développement", à la république, la publicité, la propagande... Pensez encore à l'électricité, à la télévision, au journal, à l'ordinateur...! C'est qu'au fond, quoique ces gens puissent dire, ce qui les dérange, ce n'est pas tellement le lieu d'origine de l'idée ou du concept, mais bien son contenu et ses implications pour eux et pour leur propre système, leur idéologie et, en dernière analyse, pour leurs intérêts.
Arrivé à ce point, je sais que ce texte est déjà suffisamment long, mais je ne peux le conclure sans revenir à une question que j'ai déjà effleurée plus haut et qui est celle de savoir s'il faut permettre de mêler la religion à la politique. Ce que je vais écrire comme tout ce que j'écris ici n'est que mon opinion personnelle qui n'engage que moi. Si je me sens obligé de préciser ce qui relève du domaine de l'évidence, c'est que je sais que ce que je vais écrire ne va pas plaire du tout à bien des gens qui ne sont pas islamistes et qui sont plus ou moins hostiles à l'islamisme comme ce que j'ai écrit jusqu'ici non seulement dans le présent article mais également dans bien d'autres de ceux déjà postés sur ce blog ne doit pas plaire du tout aux islamistes. A ce jeu là, je vais finir par me mettre tout le monde sur le dos, mais qu'importe ?
Longtemps au cours des trente dernière années, on a entendu des appels à éloigner la religion de la politique, à la restreindre au domaine personnel, privé (c'est d'ailleurs probablement l'une des raisons de la virulence exceptionnelle des attaques actuelles contre la laïcité et les laïcs, les auteurs de ces attaques croyant sincèrement ou faisant mine de croire qu'il s'agit dans les deux cas de la même position). Ce credo était largement partagé entre des courants et des forces politiques que rien n'unit par ailleurs. C'est ainsi qu'il revient souvent dans les discours des libéraux, des différents courants de gauche et jusqu'au sein des cercles du pouvoir qui a gouverné le pays de Bourguiba à Ben Ali. On s'en est même servi comme prétexte pour refuser de reconnaître à M. Ghannouchi (Rached) et ses amis le droit de créer un parti politique, ce qui les a amenés à renoncer à leur appellation d'origine (mouvement de la tendance islamique) et à opter pour l'appellation moins explicite et plus vague de la Nahda (renaissance). Aujourd'hui, on semble avoir plus ou moins dépassé ce stade à la faveur de petites concession et de petits accommodements des un et des autres, puisque le parti de la Nahda a eu droit à son visa. Mais, cela ne veut pas dire pour autant que le débat est clos et que la question est définitivement résolue. Pour vous en convaincre, il suffit de suivre l'émission télévisée quotidienne où l'on voit défiler les responsables des différents partis politiques venus présenter leurs partis et faire connaître leurs programmes respectifs et dont le présentateur ne manque jamais de poser cette question devenue (avec une autre sur le code du statut personnel) quasi rituelle : "Que pensez-vous de la séparation de la politique ?". Et ses interlocuteurs de répondre presqu'invariablement dans une unanimité touchante : "Bien sûr nous sommes pour la séparation..." (il a quand même eu le tact de ne pas poser cette question à M. Hammadi Jebali qui n'a toutefois pas échappé à la question sur le CSP et même à une autre sur...le tourisme !), tout ce beau monde oubliant ou feignant d'oublier qu'on vient d'autoriser un parti qui, indépendamment de son nom, se réclame de l'islam comme socle idéologique et comme référence centrale dans son programme politique. Le plus drôle, c'est que nombre de ceux qui prônent diligemment la séparation du religieux et du politique sont franchement opposés à l'idée d'un état laïc ou, du moins, sont génés par son évocation. Allez comprendre !
Pourtant, jamais position intellectuelle et politique ne fut plus fragile, aussi facilement contestable et dénuée de fondement que cette position si répandue qui cherche désespérément à interdire le champ politique à l'islam. Pire, ses tenants en arrivent même à perdre toute crédibilité lorsqu'ils prétendent qu'ils parlent eux-mêmes en musulmans convaincus. Or, leur combat est perdu d'avance car ce même islam par son histoire même aussi bien que dans ses textes leur assène un démenti cinglant. Il suffit de voir la biographie de son prophète, à la fois messager de dieu, chef politique et militaire de la communauté naissante des musulmans, sans parler de ceux qui lui ont succédé dans ces deux dernières fonctions. Quant aux sources, on peut rejeter en bloc la somme théorique produite par les fuqaha, on peut contester la véracité d'une partie plus ou moins importante de la tradition (la sunna) du prophète même si un tel rejet et une telle contestation ne sont pas du tout évidents pour un musulman, mais on ne peut renier la teneur de certains textes coraniques et ce, quelle que soit l'interprétation qu'on adopte. Leur sens ou, du moins, leur sujet ne laisse pas l'ombre d'un doute sur le fait que l'islam est une religion de vie mondaine (دين حياة), d'action (دين عمل), voire même de guerre, qui s'adresse à la cité, à la collectivité autant (sinon plus) qu'elle (ne) s'adresse à l'individu. C'est une religion fondamentalement (intra)mondaine autant qu'elle est extramondaine, pratique, active, pragmatique même autant que méditative En cela, il se distingue nettement du christianisme qui ne fut rien de tout cela à sa genèse et longtemps après. Espace public  par excellence où l'on débat des affaire de la cité, politique, intellectuel, éducationnel, idéologique (où l'on bénit le gouvernant en place ou on le critique), la mosquée a toujours été un lieu central de la cité islamique, jamais un simple lieu de culte (même l'église, pourtant le cadre d'une religion réputée atemporelle, ascétique et méditative, a pu jouer à peu près le même rôle à certaines époques)...
Alors, cela ne sert à rien de s'élever contre toutes ces évidences pour dénier aux islamistes de quelque coloration et de quelque bord qu'ils soient le droit de mêler la religion à la politique et de prétendre que l'une n'a rien à voir avec l'autre, surtout si l'on est ou qu'on se dit musulman. Plutôt que de se ridiculiser de la sorte et d'épuiser ses forces dans un tel combat perdu d'avance, que ceux qui ne veulent pas que leur vie et leurs affaires soient gérées sur la base de la charia et des préceptes de l'islam le disent sans ambigüité. Cela aurait le mérite de la clarté et de la cohérence. La volonté d'interdire la formation de partis politiques porteurs de programmes à contenus ou à fondements religieux est difficilement tenable de la part des défenseurs de la liberté et de la démocratie qui prennent référence dans les expériences développées en Europe et reprennent à leur compte avec raison certains principes auxquels on trouve une portée universelle car il est aisé de trouver partout dans cette même Europe, dans le passé comme au présent, une multitude d'exemples de partis à coloration religieuse certaine (pensez à tous les démocrates chrétiens, socialistes chrétiens et autres partis catholiques !). Même dans la France d'aujourd'hui (je ne parle pas du passé, sinon les exemples seront plus aisés à trouver), un parti comme le Front National procède d'une idéologie qui est un mélange de nationalisme, de populisme et de bigoterie). De même est-il ridicule et contre-productif de chercher à forcer les islamistes d'admettre le caractère intouchable du code du statut personnel alors qu'on sait pertinemment que, dans son esprit et dans (au moins certaines de) ses dispositions, ce texte est en contradiction avec leur base idéologique. Ce genre d'attitude hypocrite (de la part des anti-islamistes) ne fait que générer une hypocrisie semblable en face chez les islamistes qui n'ont pas d'autre choix, vu le rapport des forces du moment, que d'obtempérer, mais dont on sait très bien qu'ils ne peuvent s'accommoder  longtemps d'un tel diktat sans courir le risque de contredire leur propre foi et finir par perdre leur raison d'être en tant que courant politique.
Ne serait-il pas plus sensé, plus juste, plus respectable parce que plus cohérent, mais aussi plus utile de laisser les islamistes dire ce qu'ils pensent vraiment et ce qu'ils entendent faire de notre société s'ils ont l'occasion de présider à ses destinées et dire clairement de son côté qu'on ne veut pas de ce projet-là quels qu'en soient les présupposés théoriques et idéologiques ?

5 comments:

  1. Pardon, Mohsen, en fait, la vrai source où j'ai trouvé l'étymologie en question, je l'ai perdue; et ce n'est que beaucoup plus tard que la revue de l'IMA (Institut du Monde Arabe) en a parlé, brièvement...

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  2. 'am Salah, merci de la rectification. Quelle que soit la source de ce parallélisme, je ne vois pas d'autre explication possible pour un tel rapprochement et je pense qu'il est inapproprié.

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  3. C'est un autre problème...Pour le reste, merci pour ta loyauté...

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  4. je lis et parcours votre blog depuis un long moment. Vous Tunisiens (je connais 3 blogs à ce jour) vous m'époustouflez par vos propos, vos réflexions, le niveau élevé de la langue française que vous pratiquez, et tellement de choses. chapeau bas… il me prend à rêver que les blogueurs de gauche que je pratique en France aient le même niveau
    http://www.penseelibre.fr, Annie

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  5. C'est une période exceptionnelle. Je ne sais pas si l'on aura eu raison de parler de "révolution" en termes de réalisations politiques. Dans quelle mesure il va y avoir un vrai changement et quelle en sera l'ampleur, seul l'avenir le dira. En revanche, du point de vue du processus enclenché et de l'intensité des soubresauts, je crois qu'on peut d'ores et déjà dire que l'on est en train de vivre une véritable révolution. Or, de ce point de vue-là, c'est aussi par le foisonnement d'idées et d'expressions qu'elle génère qu'une révolution se détermine et c'est à cela qu'elle est reconnue. Espérons surtout qu'il en restera quelque chose, une fois que l'écume se sera dissipée.

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