Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Friday, October 28, 2011

Arithmétique et politique : اللِّي يِحسِب وَحدُه يُفضُلْ لُه

J'avais un grand père paternel que j'aimais beaucoup et dont je garde encore aujourd'hui, près de quarante ans après sa mort, de bons souvenirs qui remontent aux années de ma prime enfance. L'un de ces souvenirs concerne une locution d'origine berbère qu'il utilisait de temps en temps. Chaque fois qu'un arrangement ne lui plaisait pas parce que basé sur sur un mauvais calcul ou un calcul supposé minutieux mais sans grands effets, il disait avec dédain : حِسبِة يَقِّشْ (les égyptiens diraient حِسبِة بِرما et les français parleraient de comptes d'apothicaire).  Cette expression est l'un des rares vestiges de mon origine berbère aussi lointaine qu'hypothétique. Mais, par-delà la nostalgie qu'elle éveille dans mon esprit, je trouve qu'elle illustre assez bien la démarche des têtes pensantes qui nous ont concocté la savante et compliquée recette qui allait être appliquée pour départager les voix et distribuer les sièges à l'assemblée constituante à l'issue du dernier scrutin. A ce qu'il parait, certains parmi les mauvais perdants dont je parlais dans mon article précédent crient maintenant à la trahison et reprochent aux artisans de la loi électorale de les avoir trompés en leur "promettant" que le gagnant (dont l'identité ne faisait déjà guère de doute à l'époque) n'aurait pas plus de 25% des sièges. Etait-ce vraiment l'objectif (à peine) caché de ces "experts" de contenir un éventuel raz de marée islamiste en mettant au point une telle formule pour le mode de scrutin ou bien n'avaient-ils comme ils le proclament d'autres intentions que celle d'assurer un pluralisme maximal au sein de la constituante et de garantir un minimum de représentation pour les petits partis et les indépendants ? Dieu seul le sait.
Toujours est-il que s'il est un parti qui serait parfaitement en droit de crier à la triche et au trucage du mode de scrutin aujourd'hui (certains de ses responsables n'ont d'ailleurs pas manqué de le faire), c'est bien celui.... d'Ennahdha et nul autre parti, pour la simple raison que le mode adopté lui a fait payer ses sièges beaucoup plus cher que ceux des autres listes. Il n'y a qu'à juger par vous-mêmes en jetant un coup d’œil sur les résultats complets ventilés par circonscription. Vous verrez, alors, aisément qu'un siège d'Ennadhdha vaut en moyenne par son "pesant de voix" trois à quatre sièges de partis comme le PDP, Afek Tounes ou le MDS et pas moins d'une fois et demie à deux fois ceux du CPR ou d'Ettakattol ! Au risque de choquer quelques uns, je dirai même que ce mode de calcul me rappelle celui appliqué lors des échanges de prisonniers entre israéliens et palestiniens ! Quoi qu'il en soit et quelle que fût l'intention réelle des concepteurs de la loi électorale, sans leur formule magique, Ennahdha aurait eu plus de sièges qu'il n'en a aujourd'hui et aurait peut-être même atteint la majorité absolue sans peine si l'on avait appliqué une proportionnelle stricte. Toujours dans le même ordre d'idées, même si c'est dans une moindre mesure, la même constatation est applicable aux listes qui sont arrivées en deuxième et/ou en troisième position (selon les circonscriptions) après celles d'Ennahdha, comparées à celles qui ont occupé la dernière et/ou l'avant dernière position.
La dernière remarque confirmerait la bonne foi du législateur et la véridicité de l'intention de favoriser le pluralisme et de protéger les petites formations. Seulement, la formule retenue était elle la meilleure manière d'atteindre cet objectif supposé noble et, d'abord, ce souci était-il vraiment justifié ? Je n'en suis pas si sûr.
D'une part, s'il peut paraître légitime et même louable de rechercher un certain degré de pluralisme, surtout dans le contexte de la Tunisie d'aujourd'hui et celui plus particulier de l'élection d'une assemblée constituante qui requiert la plus large représentation possible de toutes les sensibilités, celui de favoriser les petits partis me paraît peu justifié, voire même mal venu, dans ce même contexte où certains de ces "petits partis" sont, en fait, des non-partis ! Le parti de Hamma Hammami, le MUP ou les mouvements national-démocrates sont des petits partis, mais pas ceux qui sont sortis de nulle part au lendemain du 14 janvier sans programme digne de ce nom ni base réelle. Il est vrai que la situation qui a prévalu au cours des décennies passées n'étaient guère favorable à la création de partis, même quand on avait un tel programme et que l'on disposait d'une telle base. Mais, cela n'a pas empêché ceux qui en avaient un tant soit peu de se former et d'exister malgré toutes leurs limites et leurs faiblesses, notamment leur faible représentativité. Cela n'implique, certes, pas pour autant qu'il fallait arrêter le compteur des partis à ceux qui existaient avant le 14 janvier, mais on ne pouvait pas raisonnablement imaginer que de vrais partis dignes de ce nom pussent se former et être sérieusement prêts à prendre part à des élections en l'espace de quelques mois. S'il fallait absolument assurer pluralisme et représentativité, mais aussi proximité, n'aurait-il pas été mieux indiqué d'opter pour un scrutin uninominal comme d'aucuns le réclamaient plutôt qu'un scrutin de listes ? La question mérite d'être posée d'autant qu'un tel choix n'aurait nullement empêché le scénario de candidatures individuelles issues des partis ou soutenues par ces derniers sans barrer la route à des candidats indépendants qui jouissent d'un certain capital de notoriété et de confiance au niveau local. Or, qu'a-t-on obtenu grâce à cette "proportionnelle au plus fort des restes", à part le "bridage" du succès d'Ennahdha et, dans une moindre mesure, la limitation de celui de Marzouki et Ben Jaâfar ? On a peut être évité au PDP et au PDM qui étaient loin d'être considérés comme des petits partis, surtout pas le premier, de sombrer complètement et éventuellement se retrouver sans le moindre siège. Mais, on a aussi et surtout involontairement contribué à cette énorme supercherie d'El Aridha, même si elle a déjà été rendue possible par l'absence de conditions pour la constitution de listes (ce n'est pas la démocratie, c'est un mélange de populisme et de naïveté qui frise le charlatanisme que de permettre à n'importe qui de se présenter à des élections de ce genre) et le manque surprenant de rigueur et de cohérence dans l'application des critères arrêtés pour la disqualification des candidats même quand ils ont été énoncés dans la loi même qui réglementait les élections (le dernier épisode de disqualifications de certaines listes d'El Aridha à l'exclusion de bien d'autres listes y compris les autres listes qui se sont présentées sous le même fanion, mais pas seulement, est éloquent). Hormis ce qui précède, on se retrouve avec un imposant groupe islamiste (qui aurait été même écrasant sans cette ingénieuse trouvaille du plus fort des restes), deux à quatre groupes minoritaires mais qui risquent de jouer un rôle déterminant dans le jeu d'alliances et d'équilibres au sein de l'assemblée de par l'importance relative du nombre de sièges qu'ils ont obtenus et dans la mesure où Ennahdha n'a pas atteint le seuil de la majorité absolue, en dépit de sa victoire spectaculaire et surtout incontestable (lequel ou lesquels de ces groupes joueront ce rôle déterminant et jusqu'à quel point ce rôle sera vraiment déterminant dépendra des alliances qui vont être tissées dans les prochains jours) et ensuite une bonne quarantaine de sièges répartis entre quatre partis ou coalitions ayant récolté chacun un maximum de cinq sièges et une myriade de listes avec chacune un seul siège n'ayant rien à voir les unes avec les autres sans la moindre chance de constituer une force d'aucune sorte. Il me fait rire, monsieur Mourou, lorsqu'il a invité Ennahdha à s'effacer et laisser les autres se coaliser pour gouverner et défier ces derniers de le faire. Aucune majorité de gouvernement n'est possible en dehors d'Ennahdha. A-t-on favorisé le pluralisme ? Pas du tout. A-t-on favorisé les petits partis ? Pas vraiment.
Une expérience et des leçons à méditer pour les élections futures.