Longtemps, j'ai formulé les critiques les plus sévères à l'encontre de mes compatriotes que je n'ai cessé de taxer de toutes les tares. Souvent, je ne me sentais pas fier de faire partie de ce peuple, même si je n'étais guère fier de moi-même non plus...
Aujourd'hui, aussi incertain que soit l'avenir de mon pays, à commencer par l'avenir immédiat, mais également au-delà, et aussi hypothétique que puisse être l'issue du mouvement, les tunisiens m'ont assené par leur soulèvement et le premier résultat concret obtenu un cinglant démenti, me dévoilant à quel point ma vision de petit bourgeois installé dans son confort matériel et intellectuel était pauvre et limitée. Ils m'ont par le même coup rendu la fierté de mon appartenance, même si je ne l'ai nullement mérité de là où je suis, lointain observateur plus ou moins intéressé, plus ou moins compatissant (c'est pourquoi je n'espère jamais recouvrer l'autre fierté, celle de mon être singulier).
Au-delà de la destitution du dictateur et quel que soit leur devenir, les tunisiens ont déjà obtenu deux acquis indéniables qui sont peut-être la garantie que le sang versé et les vies perdues ne l'ont pas été pour rien.
Le premier est qu'ils auront enfin découvert la formidable force qu'ils représentent. Jamais ils ne devront l'oublier s'ils espèrent rendre leur marque sur l'histoire définitive et avoir une part un tant soit peu conséquente dans le façonnage de leur propre histoire.
Mais, ils peuvent se vanter d'un autre acquis non moins important, voire encore plus important par sa portée. C'est que par leur expérience qui est une première absolue du genre dans le monde arabe moderne, ils offrent aujourd'hui un exemple unique à l'ensemble des peuples de la région qui pourrait, s'il ne le fait déjà, servir d'incitation à ces derniers pour faire de même comme il peut servir de puissant facteur de dissuasion pour les gouvernants de ces mêmes peuples.
C'est peut-être si peu au vu de ce que pourrait être l'avenir de mon pays et de mon peuple. Mais c'est déjà beaucoup, autant pour ce même avenir que pour celui de cet autre peuple bien plus nombreux auquel nous nous trouvons rattachés, qu'on le veuille ou non.