Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Thursday, March 15, 2012

Hommage posthume,
Hédi Guella nous a quittés

Non, ce n'est pas une rétractation. Pas si vite ! D'ailleurs, l'épithète dans le titre a une double significations. Il s'agit seulement d'accompagner le départ d'un ami et d'un artiste, un personnage de salut public. Un dernier devoir d'amitié et de citoyenneté contre l'indifférence et l'oubli.
 J'aurais voulu avoir le don qu'il fallait pour lui offrir une élégie comme celle-ci qu'il composa à la mémoire du poète et chanteur populair Jdira

Hédi Guella, chanteur, compositeur et parolier tunisien s'est éteint hier après avoir lutté bravement contre un cancer des poumons pendant une année. Hédi n'était certes pas une personne exemplaire. Qui d'entre nous peut prétendre l'être ? Mais il était un vrai artiste. Un authentique génie de création et de sensibilité comme il y en a eu rarement sur cette terre, notamment au cours des dernières décennies. Pendant près de vingt ans, il était devenu la voix de la dissidence en exil. C'est à cette époque, vers la fin des années soixante-dix, que je l'ai d'abord connu à travers sa musique, à peu près en même temps que je découvrais Cheikh Imam. J'étais encore étudiant. Si pour les prêtres de la révolution qui n'allait jamais se faire, tout l'intérêt résidait dans les textes de Mahmûd Darwîsh, Tawfiq Ziyâd et Mûldi Zalîla que Hédi chantait, la musique n'étant "qu'un support" (véhicule aurait certainement mieux servi leur intention) pour la bonne parole révolutionnaire, ce qui retenait mon attention chez-lui comme chez son compère égyptien et qui en faisait de vrais artistes à mes yeux, à la différence de tant d'autres travailleurs/combattants de la chanson "engagée" par ailleurs respectables, c'était la qualité de la musique même et du chant qui élevait ses chansons (comme celles d'Imam) au rang d'une véritable création artistique et cette créativité, ce souffle authentique, qui les inscrivait dans une tradition musicale au génie bien enraciné, même si elle était déjà en perdition.
Lorsque le gouvernement Mzali arriva dans le sillage des événements de Gafsa avec sa "politique d'ouverture" qui annonçait monts et merveilles mais qui allait vite tourner court avec la mascarade des élections de 1981, le seul fait à retenir, à part un retour contrôlé et sous haute surveillance à la légitimité syndicale après la relaxe des membres de la direction incarcérés en 1978 et le bref foisonnement de quelques titres d'une presse indépendante, était l'organisation au cours de l'été 1980 d'une série de concerts publics de Cheikh Imam et de Hédi Guella qui avait enfin pu rentrer au pays sans être inquiété. A l'époque, j'étais encore étudiant et je vivais à Sousse. Si le cheikh était bien venu se produire à Sousse, le concert le plus proche de Hédi avait lieu à Monastir. Or, si le déplacement ne posait aucun problème à l'aller, le retour était bien plus problématique car il n'y avait plus le moindre moyen de transport entre les deux villes à partir d'une certaine heure. Je m'y suis rendu en compagnie d'un ami totalement aveugle et nous avons décidé de rentrer à pieds (nous avons finalement été ramassés par un routier de la nuit à mi-distance). Cet été-là, Hédi avait produit ses meilleures prestations en public. L'accompagnement de deux musiciens talentueux, un violoniste iranien, Mahmûd Tabrîzî Zâdeh (lui-même décédé il y a plusieurs années) et d'un cithariste arménien, Andon Aram Kerovpian (que j'ai eu le plaisir de rencontrer il y a quelques années à Paris) avait conféré une tout autre dimension à sa musique et en avait révélé la beauté et le génie.

Hédi chantant 'abu-l-qâsim Ash-shâbbi lors de l'un des concerts de 1980

Durant l'entracte de ce fameux concert de Monastir, Hédi présenta au public venu pour lui un jeune musicien tunisien inconnu qu'il disait prometteur, un certain Anouar Brahem. Sa performance était bien pâle à côté de celle de son hôte. Le cithariste me dira en 2007 : "Oui, je me souviens de lui. Il faisait quelque chose avec le luthe, mais on ne compranait pas trop quoi"...  Aujourd'hui, le musicien en question est devenu un grand nom de Tunisie, de France et de Navarre, alors que Hédi nous a quitté dans l'indifférence quasi-générale. Hédi avait beaucoup de talent, mais si peu d'entregent !
Dix ans plus tard, je rencontrai Hédi dans le cadre professionnel (il travaillait comme traducteur-interprète comme moi) et pus enfin faire sa connaissance. Très vite on sympathisa et notre passion commune pour la bonne musique arabe, lui en tant que créateur, moi, simple consommateur, nous unit dans une amitié qui ne devait plus se défaire en dépit de quelques désaccords et de moments d'absence parfois assez longs, inévitables entre un artiste pur au talent immense, à l'esprit vagabond et à l'âme réfractaire aux moules de la bienséance et un esprit carré sans génie et sans oxygène voué au culte du bien être et du bien faire. Mon départ à l'étranger n'allait pas arranger les choses. Je l'ai pourtant retrouvé de temps en temps et l'on a passé encore quelques moments tantôt de folie tantôt de sereine compagnie, en 2006 à Madrid, en 2009 à Genève et en 2010 à Sousse. A chaque fois, comme au bon vieux temps, je ne manquais jamais de lui seriner les préceptes de ma rationalité bien pensante entremêlée de réprimandes et de doctes conseils, entêté dans ma conviction qu'il méritait mieux de lui-même et des autres et qu'il avait fait un beau gâchis d'autant de talent.
Si la dernière des maladies qui a fini par l'emporter n'a mis qu'une année à venir à bout de sa résistance, la maladie l'a empoigné pour ne plus le lâcher tout à fait tout au long de la dernière décennie. Depuis, sa vie n'a été qu'une succession d'accalmies et de rechutes. Mais la dernière année aura été exceptionnellement dure à supporter pour lui et pour les siens, pas tellement à cause des affres de la vilaine maladie que tout un chacun connaît désormais, qui de sa propre expérience, qui à travers celle d'un être cher, mais surtout parce qu'elle a en plus décidé de le priver de sa voix, lui le chanteur et l'interprète de conférence ! Pourtant, il gardait toujours le moral. Même au plus fort de son cancer (je n'ai pas pu le rencontrer au cours des derniers dix-huit mois, mais on a gardé le contact, par téléphone et par courriel), il avait foi en la science et en la compétence de ses médecins. Il était sûr de sa guérison (au moins, il le donnait à croire) et parlait d'avenir. Ne faisait-il que donner le change ? Plus personne ne le saura. Aujourd'hui, il nous a quittés sans prendre congé, fidèle à son habitude. Peut-être est-ce mieux ainsi si plus d'années de vie n'allaient être qu'une prolongation du calvaire qu'il a enduré depuis le printemps dernier.
Même si je ne suis pas au courant des détails, je crois savoir que les autorités de la transition n'ont pas manqué de l'aider durant sa maladie. Néanmoins, je suis presque sûr que le soutien dont il a pu bénéficier, il le doit plus à ses relations personnelles (il connaissait tellement de monde dont des personnalités de notoriété publique en dehors de nos frontières et des compatriotes qui sont parfois devenus des personnages haut placés) qu'au fruit d'une volonté politique et d'un choix non personnalisé.
Son répertoire musical quantitativement non négligeable et dont la qualité artistique est certaine n'a jamais fait l'objet de beaucoup d'attention de la part de quiconque à commencer par lui-même. Il fut très peu publié (les seules publications dont je sois au courant sont le disque comportant une demi douzaine de chansons enregistrées en France au milieu des années 70 et deux cassettes parues au début des années 80 sous un label éphémère et qui reprenaient les principaux titres qu'il a chantés lors de sa tournée au cours de l'été 1980). Aujourd'hui qu'il n'est plus de ce monde, la moindre ds choses qu'on puisse faire pour honorer sa mémoire et lui témoigner notre fidélité, à part celle d'apporter l'aide qu'on peut à sa famille, serait de veiller à rassembler sa production, aujourd'hui éparpillée entre les membres de sa famille et ses amis, et de la publier.

Cette chanson dont il est l'auteur compositeur interprète aurait pu servir de signe de ralliement aux jeunes qui ont fait l'événement de 2011 et qui rêvaient et rêvent peut-être encore d'une Tunisie meilleure

Adieu ami ! Chaque fois que je lèverai un verre ou que j'écouterai un bon morceau, je penserai à toi, jusqu'à ce que vienne mon tour pour quitter ce monde.

Composée sur un texte de Mahmûd Darwîsh dédié à sa sœur, cette chanson est probablement sa composition la plus accomplie qui révèle l'étendue de son talent compositionnel et de sa culture musicale comme elle laisse deviner certaines de ses sources d'inspiration, notamment la musique de Sunbâti (s'il avait été encore là, il aurait insisté pour que j'ajoute "et Zakariyâ")

2 comments:

  1. وداعا "يا ربيعا راحلا في الجفن، يا عسلا بغصّتنا و يا سهر التفاؤل في أمانينا" ... وداعا يا عمي الهادي

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  2. شكرا على الموضوع

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