Par-delà la variété des forces politiques en compétition lors des dernières élections et la diversité de leurs orientations et leurs programmes respectifs, il est un point sur lequel elles se sont retrouvées dans une unanimité presque sans dissonances : c'est ce discours auto-laudatif sans la moindre réserve, sans la moindre mesure et sans la moindre relativisation. Nos élections ont été parfaites, exemplaires, extraordinaires, sans précédent par le taux record de participation, par le niveau élevé de civisme qui les a caractérisées, par le caractère exceptionnel de leur organisation et de leur transparence. Hier et encore aujourd'hui, on entend des descriptions dans la même veine pour rendre compte de la "révolution tunisienne". Dans un cas comme dans l'autre, on donne l'exemple à suivre aux autres et ils n'ont tous d'autre choix que de nous emboiter le pas dans un mélange d'admiration et d'envie. Les égyptiens, les libyens, même les européens et les américains voudraient tant faire aussi bien que nous et ne peuvent que nous imiter. Il n'est pas jusqu'au esprits les plus éclairés et les rationalistes les plus rigoureux qui ne se montrent incapables de résister à cette déferlante d'auto-satisfaction béate (voir à titre d'exemple certaines déclarations du président de l'ISIE). Dans un tel élan, toutes les divergences, toutes les différences sont momentanément gommées comme par enchantement pour faire place à l'exercice favori des tunisiens : le nombrilisme national consensuel.
A y regarder de plus près, en revoyant notre histoire politique, sociale, culturelle et même sportive, on verra que le syndrome de Narcisse est une constante dans tous nos jugements et toutes nos appréciations des événements et de nos propres réalisations réelles ou fictives. On a peut-être eu un seul poète qui soit vraiment sorti de l'anonymat, mais il est le plus grand, le plus doué de tous. On a eu un écrivain qui a sorti une pièce de théâtre, un roman, trois nouvelles et une poignée d'articles. Eh bien, il vaut tous les écrivains du monde arabe réunis qui n'étaient même pas capables de percevoir son génie. On a remporté un titre africain de football ; il vaut la demi-douzaine de titres dont les trois derniers successifs remportés par l'Egypte. On a fait une révolution ; elle a été plus remarquable et plus spectaculaire que la révolution française et la révolution russe (quant à celles chinoise ou iranienne, n'en parlons même pas !). Même nos défaites sont tournées en victoires et notre passif transformé en actif. On a subi sept invasions successives en deux mille ans ? Ce ne furent qu'autant de sources d'enrichissement humain et culturel qui font de nous aujourd'hui un peuple unique. Je ne parle pas de ce jour où, n'en croyant pas mes oreilles, j'entendis monsieur Hedi Nouira du temps où il présidait le gouvernement déclarer devant l'assemblée nationale que, certes, on avait un déficit budgétaire assez important, mais le déficit en question était somme toute un "déficit positif" !
Bien sûr, on peut rechercher des explications dans certaines données objectives, à commencer par le complexe du faible que trahit ce même discours dans certaines de ces formulations ("La Tunisie est un pays petit par l'étendue de son territoire et sa population, mais grand par ses hommes." ou encore "Nous sommes, certes, un pays pauvre, mais nous sommes riches de notre intelligence et notre génie."). Mais, quelle que sot l'explication, cette tendance peut se révéler et s'est même avérée en nombre d'occasions bien néfaste car elle nous empêche d'avoir une juste appréciation de ce que nous sommes, ce que nous faisons et ce que nous réalisons. En surestimant nos atouts, elle nous cache nos limites. En minimisant nos tares et nos défaites ou en les escamotant carrément, elle nous prive de la possibilité de les analyser, d'en comprendre les raisons et d'essayer sérieusement de remédier aux unes et de nous relever des autres. En entretenant l'illusion de notre excellence et de notre quasi perfection, elle nous enlève toute chance de progresser. De surcroit, cette manie qu'on a de se mettre en comparaison avec les autres et de sortir toujours gagnants de ces comparaisons nous détourne de cette démarche salutaire qui consiste à mesurer nos efforts et nos réalisations à l'aune de nos moyens et de nos besoins. Car ce qui compte à la fin, ce n'est pas tellement de savoir si l'on est premiers ou bons derniers, si l'on est les plus grands ou les plus petits, les meilleurs ou les pires en Arabie, en Afrique ou dans le monde entier, mais bien si l'on est ce que l'on doit et ce que l'on peut être sur la base de nos besoins et nos attentes d'une part et de nos moyens et nos capacités d'autre part.
Bien sûr, on peut rechercher des explications dans certaines données objectives, à commencer par le complexe du faible que trahit ce même discours dans certaines de ces formulations ("La Tunisie est un pays petit par l'étendue de son territoire et sa population, mais grand par ses hommes." ou encore "Nous sommes, certes, un pays pauvre, mais nous sommes riches de notre intelligence et notre génie."). Mais, quelle que sot l'explication, cette tendance peut se révéler et s'est même avérée en nombre d'occasions bien néfaste car elle nous empêche d'avoir une juste appréciation de ce que nous sommes, ce que nous faisons et ce que nous réalisons. En surestimant nos atouts, elle nous cache nos limites. En minimisant nos tares et nos défaites ou en les escamotant carrément, elle nous prive de la possibilité de les analyser, d'en comprendre les raisons et d'essayer sérieusement de remédier aux unes et de nous relever des autres. En entretenant l'illusion de notre excellence et de notre quasi perfection, elle nous enlève toute chance de progresser. De surcroit, cette manie qu'on a de se mettre en comparaison avec les autres et de sortir toujours gagnants de ces comparaisons nous détourne de cette démarche salutaire qui consiste à mesurer nos efforts et nos réalisations à l'aune de nos moyens et de nos besoins. Car ce qui compte à la fin, ce n'est pas tellement de savoir si l'on est premiers ou bons derniers, si l'on est les plus grands ou les plus petits, les meilleurs ou les pires en Arabie, en Afrique ou dans le monde entier, mais bien si l'on est ce que l'on doit et ce que l'on peut être sur la base de nos besoins et nos attentes d'une part et de nos moyens et nos capacités d'autre part.
Prenons le cas des récentes élections de l'assemblée constituante ! On a parlé d'une participation exceptionnellement élevée. En fait, Trois à quatre millions des tunisiens en âge de voter ne l'ont pas fait parce qu'ils ne l'ont pas pu ou parce qu'ils ne l'ont pas voulu, le nombre des votants ne dépassant pas la moitié de l'ensemble du corps électoral. On a dit que ces élections ont été exemplaires de correction et de transparence. Or, sans aller jusqu'à parler de fraude massive, tout le monde sait que ces élections ont été entachées de toute une série variée d'irrégularités plus ou moins graves dans leurs différentes phases : avant la campagne électorale, pendant la campagne et au moment de l'élection même. On a dit qu'elles ont atteint un haut niveau de civisme. Les seuls événements de Sidi Bouzid et le couvre feu qui y a été instauré quelques heures après la proclamation des résultats complets appellent à moduler sensiblement une telle affirmation. Il ne s'agit pas de dire pour autant que ces élections ont été un fiasco. Loin de là, on peut même dire qu'au vu de la lourdeur du passif; de la nature du contexte actuel et de l'absence de la moindre expérience locale sérieuse qui puisse servir de référence, on a de bonnes raisons d'être globalement satisfaits du bilan de ces élections et de considérer le processus relativement fiable et ses résultats suffisamment représentatifs de la physionomie politique de la Tunisie d'aujourd'hui dans les limites évoquées dans un article précédent, sachant que ces limites ne sont pas des moindres et qu'au-delà de telle ou telle imperfection à corriger c'est surtout à faire reculer ces limites qu'on doit s'employer dans un effort progressif et constant si l'on veut vraiment donner aux élections de plus en plus de sens et faire en sorte qu'elles jouent le rôle qui doit être le leur dans une vraie démocratie ou plutôt dans une démocratie idéale qui reste à trouver.
Un tel idéal n'est à l'évidence pas un objectif réalisable. Il n'est au mieux qu'un repère, une sorte de boussole, un horizon vers lequel on peut orienter nos pas pour que notre marche ait un sens, même si l'on ne doit jamais l'atteindre. Cerner les problématiques, prendre conscience des potentialités et des limites virtuelles et réelles, jauger les réalisations et les limitations de fait qui ont marqué notre expérience passée ou présente et ensuite concevoir des mesures concrètes pour faire mieux la prochaine fois vaut bien mieux que de se retrouver en chiens de faïence autour d'une table sur un plateau de télévision à chanter la geste de notre gloire et à snober le monde avec notre bravoure et notre sagesse sans égales.