Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Saturday, February 18, 2012

Le cynisme du ministre est encore pire que le populisme de son président

Le débat diffusé par la première chaîne nationale tunisienne dans la soirée d'hier sur la corruption n'a pas manqué d'interventions à la fois judicieuses et instructives de la part de deux des participants, à la différence de celles du ministre qui y a pris part et malgré le manque évident de préparation de la part de l'animateur de l'émission. Un point particulier qui a retenu mon attention est la promesse faite par le président de la république à Sidi Bouzid d'y créer un technopôle. Sans prétendre disposer d'informations

précises et exhaustives sur ce qu'un technopole peut être, ce qu'il peut coûter et ce à quoi il peut servir, la critique de l'intervenant qui a soulevé la question m'a paru à première vue sensée (1). En somme, si j'ai bien compris le fond de la critique, vous ne faites pas cadeau d'un chauffe-eau électrique à quelqu'un qui n'a accès ni à l'électricité ni à l'eau courante ! Ce qui m'a le plus frappé, ce n'est pas le fait que notre président ait pu faire une telle promesse justement qualifiée de "populiste", mais bien la réplique du ministre (issu du même parti que lui) qui s'est cru obligé de préciser qu'aucune décision n'a été prise dans ce sens et qu'il ne s'agissait que "d'une déclaration politique" ! En clair, c'est de la poudre aux yeux. Des paroles sans suite qu'on jette à la foule pour l'apaiser et/ou gagner sa sympathie. C'est bien ça ? C'est avec des promesses tapageuses sans lendemain et des tours d’illusionnistes que les nouveaux gouvernants comptent mener le pays et épater son peuple ? N'est-il pas le cas de dire du commentaire de M. Abbou à propos des déclarations de M. Marzouki:
فِقْهُ بُردٍ أَغيَضُ لنا مِن شِعرِ بَشّار
(Bashshâr Ibn Burd est le célèbre poète aveugle de la période abbasside dont on dit que des gens qui ont été la cible de l'un de ses poèmes satiriques allèrent se plaindre à son père. Celui-ci leur répondit en citant le verset du Coran qui disait : "L'aveugle n'est point blâmable !". Alors ils s'exclamèrent : "La jurisprudence de Burd est encore pire que la poésie de son fils !")
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(1) : Voici ce qu'on peut lire par exemple au tout début d'une brochure du Conseil Economique et Social Régional sur "Les Technpôles en Haute Normandie" :
"Qu’est-ce qu’une technopôle ?
C’est un ensemble où doivent s’exercer trois fonctions :
- l’ingénierie de produits innovants par la collaboration entre industriels, chercheurs, enseignants et financiers implantés sur la technopôle,
- l’animation par la mise en réseau des compétences des acteurs de la technopôle,
- le marketing du territoire de la technopôle par sa valorisation visant à attirer les entreprises et les laboratoires" Source

Mais qui est ce Wajdi Ghunîm ?

Depuis sa tournée triomphale, on sait à peu près ce qu'il raconte et l'on a une idée de la teneur de "sa science" dont M. Abdelfattah Mourou s'est empressé au tout début de son réquisitoire fort remarqué, et applaudi de tout bord, de préciser qu'elle "n'était pas en doute", pas plus que ne l'était la nature de son prêche. Ce que l'on sait probablement beaucoup moins, c'est qui est cet homme et "d'où il vient" comme on dit en anglais. Or, ce genre d'informations n'est pas tout à fait inutile et c'est pourquoi je me suis mis en quête de quelques indications qui m'ont été aimablement fournies par un ami égyptien que je salue.
L'article qui est dédié à ce Ghunîm sur la version arabe de Wikipedia et qui ne semble pas avoir été l’œuvre de quelqu'un qui lui est hostile nous apprend qu'il a été proprement mis dehors ou a lui même pris les devants avant qu'on ne le chasse de pays aussi divers que le Bahreïn, le Yémen, l'Afrique du Sud et la Grande Bretagne (excusez du peu, quand on sait quelle faune circule, s'exprime et agit en toute liberté dans ce pays), sans parler de son propre pays, l'Egypte, où il n'a plus pu mettre les pieds depuis... 2001. Cet article de presse * offre un bon échantillon de ses déboires avec différents pays et de l'errance qui en a résulté. Par ailleurs, il n'est pas difficile de voir à la lecture de l'article de Wikipedia que ce monsieur ne détient aucun diplôme sérieux qui soit issu d'une institution académique digne de ce nom en terre d'islam ou ailleurs, y compris dans les disciplines religieuses qui l'intéressent et la "science" qui serait la sienne selon les propos de M. Mourou. Il n'est même pas diplômé de l'université d'El-Azhar dans une spécialité du genre 'usuli-d-dîn ou 'ulûmi-l-hadîth. Quant à "l'institution" auprès de laquelle il aurait obtenu ses titres de Master et de PhD et dont le nom même ne contient pas la mention "Université", il n'est pas difficile de vérifier la valeur de son profil académique. Il suffit d'une simple recherche google (voici un échantillon fort édifiant pour les lecteurs anglophones). Comme on peut le comprendre à l'écoute de certaines de ses interventions, sa prise de position en faveur de l'excision n'est pas le plus remarquable de ses hauts faits "scientifiques". Jugez-en par vous-mêmes sur la foi de ce croustillant morceau à propos de l'émancipation de la femme ou encore cette belle oraison funèbre à la mémoire de...  Ben Laden (َAppréciez notamment le qualificatif d'apostat accolé à Obama, comme s'il avait jamais été musulman (!). Mais, les deux pages contiennent d'autres liens non moins éloquents) !
A en croire ses diverses prises de position et son parcours comme les réactions de M. Mourou ainsi que l'hilarant communiqué du ministère de la santé à propos de l'excision, il est clair que les islamistes d'Ennahdha et même les salafistes de la Manouba apparaissent, à côté, comme de doux agneaux ou des brebis égarées qui n'ont d'autre choix que la repentance. Toutefois, la question est comment se fait-il que cet activiste au pedigree si exceptionnel a non seulement pu obtenir notre visa et franchir nos frontières sans difficultés, mais a trouvé toutes les portes grandes ouvertes. Comment a-t-il eu accès à ce qu'on a de mieux comme lieux de représentations publiques pour propager sa bonne parole et rassembler ses fans qui se comptent jusque parmi des blogueurs présentant toutes les apprences de respectabilité, par delà leur appartenance idéologique ?
Mon humble avis est que cet épi-phénomène peut avoir plusieurs fonctions dans la stratégie d'Ennahdha, la principale étant de servir d'une espèce de faire valoir négatif au mouvement. Le message serait : "Voyez le véritable méchant salafiste rétrograde qui menace votre quiétude et votre confort social pour mieux apprécier notre modération et notre sens de la mesure !". Du coup, les Ghannouchi, Jebali, Laraïedh, Mourou et consorts apparaissent comme les gardiens des valeurs républicaines, les voix de la sagesse et les véritables chantres du modernisme. Dans cet ordre d'idée, le coup médiatique Ghunîm remplit la même fonction que l'annonce de la mise en échec d'un complot salafiste visant à instaurer un émirat islamiste en Tunisie. Et M. Mourou a beau jeu de raconter l'anecdote du prophète qui, voyant le courroux de ce "citoyen" inconnu à qui il avait donné "un coup d'éventail" dans le ventre, lui offrit le sien pour qu'il puisse se faire justice... Comme si un certain Chourou n'avait pas cité quelques jours plus tôt le verset 33 du chapitre V du Coran où il était question de massacre, de crucifixion et d'amputation des membres opposés et comme si quelques mois plus tôt le même Jebali n'avait pas annoncé le sixième khalifat ! Entre temps, M. Khedhr et ses compagnons peuvent cuisiner tranquillement la prochaine constitution du pays dont on nous promet qu'elle sera basée sur la Charia, même si on ne sait pas encore dans quelle mesure et jusqu'à quel point (à titre d'exemple, est-ce qu'elle sera déclarée comme  l'une des sources, la source principale, la source tout court ou l'unique source législative ?).
Une autre vertu de l'ébullition déclenchée par les sorties de Ghunîm est que ce genre de manifestations est propice à cette fameuse dynamique "du pousse-pousse" chère à M. Ghannouchi (je n'ai pas réussi à trouver une traduction plus adéquate pour rendre sa belle et originale formule de التّدافع الاجتماعيّ) en vue de diffuser la bonne parole, c'est-à-dire réaliser une imprégnation "en douceur" mi-provoquée mi-spontanée de l'idéologie islamiste à l'échelle de l'ensemble de la société. En d'autres termes, on met tout en place pour que le bouillant prêcheur déploie son discours intégriste avec toute sa panoplie de concepts et de préceptes entre salles de sport à grande capacité et grandes mosquées. Ensuite, on publie un communiqué officiel stipulant que l'excision est médicalement contre-indiquée. Tout le reste, vous pouvez le consommer sans modération !...
C'est ce qu'on appelle dans le langage moderne (encore un anglicisme ou plutôt un américanisme) une opération "gagnons gagnons" ! Et ils peuvent tranquillement s'en laver les mains, arguant de la liberté d'opinion et d'expression pour justifier leur tolérance bienveillante aujourd'hui à l'égard de ce gourou, hier à celui des forcenés de la Manouba et d'ailleurs. Liberté d'expression dont il ne peut naturellement être question lorsque telle chaîne de télévision diffuse un film contenant des scènes jugées blasphématoires ou lorsque tel journal publie à sa une une image un peu "osée". Eh oui ! Il y a liberté et liberté. Amputer l'objet du désir et de perdition de bien des fidèles et de cheikhs y compris des plus chastes est-une chose. Montrer cet objet ou même un autre moins intime, même en image, en est une autre...
Je dois avouer que c'est plutôt brillant et même assez ingénieux, comparé à la misère de ceux d'en face, "les forces du progrès" entre le quasi appel d'outre-tombe des uns et la frénésie fusionniste des autres qui ne sert à rien d'autre sinon à prouver a contrario qu'à part les dénominations, il n'y a pas grand chose qui différencie les "partis" en question les uns des autres et qui fournit une belle illustration posthume à la célèbre formule de Bourguiba : "Additionnez une infinités de zéros ; vous n'obtiendrez rien d'autre que zéro !".
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* : Depuis un certain temps, le site du journal contenant l'article affiche indéfiniment un message de fermeture provisoire pour maintenance. Même si la source est moins notoire, on peut retrouver sur ce lien la substance de l'article auquel je voulais renvoyer à l'origine.

Edit: Pour qui veut vérifier la pertinence de mon analyse concernant la position affichée par M. Mourou et les instances officielles d'Ennahdha, je vous invite à regarder cette vidéo dont j'ai supprimé toute une partie au début qui est à mes yeux de moindre importance, en pensant à ceux qui n'ont pas une connexion internet rapide (la vidéo intégrale à partir de laquelle j'ai produit cette version raccourcie se trouve ici ; (en fait, on peut la retrouver sur plusieurs sources dont Youtube, mais c'est à travers le blog thalasolidaire que je l'ai découverte)

Il importe de faire preuve de la patience nécessaire pour aller jusqu'au bout de la vidéo. Elle me paraît plus éloquente que n'importe quelle analyse théorique et elle est d'autant plus importante au vu de l'identité des participants au débat et de leurs positions respectives sur la scène publique et politique, la nature des thèmes évoqués et les positions exposées ainsi que la clarté avec laquelle elles sont exprimées.