Les images montrées à la télévision tunisienne de ces coffres muraux bourrés de liasses de billets de banque de toutes sortes de devises y compris celle nationale et de bijoux sont certes impressionnantes pour l'homme de la rue en général et ceux qui ne trouvent pas à manger en particulier... Mais il ne faut surtout pas qu'elles nous éblouissent au point de nous faire perdre de vue l'essentiel qui consiste en quelques enseignements qu'il faut aller chercher un peu plus loin, au delà de la valeur nominale de ce butin quelle qu'elle soit.
Le premier de ces enseignements et le plus important réside dans la signification non seulement symbolique mais également littérale et bien factuelle de cette "découverte" qui montre à quel point le caractère criminel primaire des personnes qui gouvernaient le pays. Le butin saisi évoque ceux qu'on peut trouver dans la demeure de n'importe quel bandit à la tête d'une bande criminelle qui vit de vol, de racket, de proxénétisme, de contrebande et de trafics illicites en tout genre avec cette différence fondamentale qu'il s'agit là d'un homme (et de sa femme) qui était à la tête d'un état ayant un territoire, un peuple, un drapeau, une constitution, des institutions (gouvernement, parlement bi-caméral, s'il vous plaît, "partis", banque centrale...), un siège aux Nations Unies, des ambassadeurs... L'état en question était donc pillé/"géré" comme on pille/"gère" un petit quartier ou un district sur lequel telle ou telle bande et son chef règnent en maîtres incontestés. Toutes les notions des sciences politiques sont ainsi rendues caduques. Parler de "dictature", de "régime totalitaire", de "parti unique" devient caduc, pour ne pas dire ridicule, et ne mérite chez le plus indulgent des observateurs qu'un sourire apitoyé. De telles liquidités gardées "à la maison" avec de faux passeports étrangers et des enveloppes toutes prêtes pour récompenser les acolytes et les sous-fifres de la bande renvoient à une image unique, celle d'un voyou, d'un bandit de grands chemins et de ses lieutenants. Et dire qu'on parle encore de "légalité constitutionnelle", d'articles 56 ou 57,ou n'importe quel autre article ! Et dire que notre cher gouvernement de transition n'a rien trouvé de mieux à reprocher à ces gens que des délits de droit commun tels le trafic de devises ! Je rêve ou plutôt dois-je parler d'un horrible cauchemar ! Cela incite à réfléchir non pas sur la nature de ceux qui nous ont gouverné au cours des deux dernières décennies et la gravité de leurs crimes pour lesquels les faits sont éloquents, mais également sur la responsabilité et le degré de complicité de ceux qui les ont accompagnés par leurs services et leur soutien. Je ne désignerai personne en particulier non pas par crainte, mais parce qu'ils sont faciles à identifier à tous les niveaux des rouages de cette organisation criminelle qui nous a servi d'appareil d'état pendant cette période. D'accord, on a dit qu'on ne voulait lyncher personne, mais cela veut-il dire pour autant que tous ces gens doivent s'en tirer à si bon compte comme il y paraît ces temps-ci au point que certains parmi eux pourraient même récolter des médailles et des satisfécits populaires pour hauts services rendus au pays et à son peuple en une période particulièrement critique de son histoire ?!
Mais, attention ! L'étendue du mal est bien plus grande qui est à voir dans les pratiques criminelles de spoliation systématique à grande échelle (à l'échelle nationale) menées par les membres de tout un clan derrière le chef, unis les uns aux autres et tous à ce dernier, qui par des liens de sang, qui par alliance, qui par simple allégeance. C'est là que le fameux document-réquisitoire récemment ressuscité sur la toile "Les familles qui pillent la Tunisie" trouve toute son importance. Derrière les billets de banque, les bijoux et les faux passeports saisis à Sidi Bou Saïd, il faut voir les compagnies dépecées, les groupes d'entreprises démantelés et redistribués, les banques appropriées, les grands projets de l'état (aéroports, ports, autoroutes...) et les services publics (information, télécommunications, douanes, transports...) détournés pour servir de domaines privés et de vaches à lait à cette bande de chiens enragés... D'ailleurs, même si on devait se borner à inventorier et à récupérer les biens meubles, où en est-on des avoirs qui devaient être gelés ou l'ont déjà été et de leur rapatriement ? Relèvent-ils de l'autorité de la commission d'enquête (il y a bien des choses à dire sur cette commission d'enquête et les ambigüités qui l'entourent comme l'a montré un récent débat télévisé) ou bien de celle du gouvernement de transition et quelles démarches tangibles ont été entreprises à part les professions de foi et les vœux pieux ? On sait au moins d'après une information relayée par un blogueur que le gouvernement canadien attend toujours des précisions de la part du gouvernement tunisien sur les biens qu'il devait saisir sur son territoire....
En un mot, ce qui est à redouter le plus, c'est que ces images spectaculaires ne soient qu'un "os" qu'on jette à la populace pour la calmer ou un sédatif qui n'a d'autre fonction que celle de mieux noyer... la baleine comme cet épisode digne d'un film d'action américain qui nous montrait les péripéties de l'arrestation mouvementée des Trabelsi et Ben Ali sur le point de mettre la poudre d'escampette pour déboucher sur de graves accusations du genre... détention illégale de comptes en devises à l'étranger !
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