Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Wednesday, April 20, 2011

Les acquis de la révolution 2

Je n'ai pas vraiment changé d'avis depuis la publication du premier article ayant le même intitulé. Rien dans ce qui se passe sur la scène politique tunisienne n'incite à plus d'enthousiasme. Loin de là, à mon humble avis que j'espère de tout cœur erroné, tout, au contraire, évoque la morosité. Il s'agit seulement d'une autre perspective toute différente et qui pourrait, à la limite, être plus importante pour l'avenir du pays et des gens qui le peuplent. En effet, si dans mon premier article, j'ai essayé de remettre les pendules à l'heure en essayant de dresser un bilan tout à fait provisoire de ce qui a ou n'a pas été réalisé sur le plan politique de ce qu'on était en droit d'escompter suite au soulèvement populaire qui a amené la chute du président aujourd'hui en fuite et compte tenu de l'ampleur même de ce soulèvement et des sacrifices qui en ont été le prix, soit indiquer la différence entre ce que les gens pouvaient espérer obtenir et ce qu'ils ont effectivement obtenu, ce que je me propose de faire aujourd'hui, c'est d'essayer de faire le point de ce que ces mêmes gens ont tiré d'eux-mêmes, de leur fond propre, qu'ils se sont offert les uns aux autres et ont offert au pays tout entier, voire bien au-delà.
Dans l'un de mes tout premiers articles, j'ai brossé un bref portrait des tunisiens tels qu'ils me sont apparus depuis des lustres. Un portrait peu flatteur pour mes compatriotes et pour moi-même qui fais partie de ce peuple, que je le veuille ou non. Individualistes à souhait à l'égoïsme primaire, soucieux de leur confort matériel immédiat au détriment de toute autre considération, prétentieux, vaniteux, lâches... Je sais que ça peut paraître excessif, voire même odieux, scandaleux. Il n'empêche que ce jugement était basé sur ma connaissance de mon pays et des miens (il ne faut pas oublier que, tunisien moi-même, quand je parle des tunisiens je ne m'en exclus point). Qui a fait l'expérience de la circulation à Tunis même ou dans les autres grandes villes n'aura pas de mal à comprendre ce dont je parle. La circulation routière est un excellent terrain pour voir les pulsions humaines et les valeurs sociales d'une population donnée à l'œuvre. Mais on peut multiplier les exemples d'autres terrains non moins intéressants et instructifs (les stations de taxis, les guichets des postes ou des banques, les marchés, les aéroports...), par-delà les discours et les professions de fois. Bref, avec la dose habituelle de vanité dont aucun de nous n'est exempt et qui fait que l'on se croit toujours supérieur aux autres, convaincu que je valais moralement et intellectuellement mieux que la majorité de mes compatriotes, j'étais peu fier d'être tunisien, si bien que quand je devais décliner mon identité à l'étranger, c'est à contre-cœur que je le faisais.
Or, de ce qui s'est passé en Tunisie au cours des derniers mois, ce que je retiens en premier lieu et que je considère de plus probant et de plus précieux, c'est un ensemble de manifestations et de comportements individuels et collectifs qui réhabilitent les miens à mes yeux et m'incitent à bien plus d'humilité pour ne pas dire de honte de moi-même qui ne me sens soudain plus digne de ces mêmes compatriotes. Il s'agit de ses élans de courage, de générosité, de dignité, de solidarité, de civilité et d'esprit de sacrifice d'une intensité et d'une ampleur telles qui font qu'il ne s'agit point de manifestations isolées, mais bien de véritables phénomènes de masse qui permettent de parler d'une véritable... révolution des mentalités. C'est comme si soudain ce peuple faisait sa mue en se défaisant de cette couche de peau morte affreuse qui s'est formée et endurcie autour de son corps au fil du temps et à la faveur de la mise en place d'un système politique et économique déterminé au point de prendre l'apparence d'une partie intégrante voire essentielle de ce corps. Je pense à ce formidable sursaut qui a subitement libéré les gens de leur peur et de leur ego tout petit pour qu'il se lancent dans la rue les mains nues et défient le géant que tous croyaient pourtant imperturbable. Je pense à ceux  qui savaient qu''en le faisant ils pouvaient être battus,emprisonnés, torturés ou carrément tués sans aucune contre-partie visible ou prévisible pour eux-mêmes ou leurs proches. Je pense à ceux qui se précipitaient pour secourir un compagnon de manifestation, souvent inconnu, tombé sous les cartouches, tout en sachant qu'ils s'exposaient au même sort. Je pense à ceux qui sont partis en caravanes par milliers et ont couvert des centaines de kilomètres pour aller féliciter leurs compatriotes qui ont été les premiers à sonner la charge. Mais je pense aussi à ces dizaines de milliers de tunisiens souvent démunis et ayant eux-mêmes besoin d'être secourus et qui n'ont pas hésité à ouvrir grands leurs bras, leurs cœurs et leurs demeures à ces autres sinistrés qui venaient de Lybie, n'hésitant pas à donner ce qu'ils avaient et ce qu'ils n'avaient pas. Je pense enfin à ceux qui se sont portés volontaires, qui pour nettoyer les rues laissées en désordre, qui pour remettre en état les édifices publics brûlés et saccagés, qui pour donner un aspect digne à des écoles délabrées et dépourvues de la moindre commodité, qui pour venir en aide à quelques familles pauvres après avoir vu un reportage à la télévision....
Mieux qu'un régime parlementaire ou présidentiel, qu'une constitution, que des institutions, que la parité hommes-femmes, ce visage du tunisien moyen enfin trouvé ou retrouvé, radicalement différent de celui qu'on lui connaissait ou qu'on croyait connaître, ce sens particulièrement aigu de la dignité, de la responsabilité collective, de l'appartenance à une communauté, cet esprit civique sont, à mon avis, les plus précieux des acquis qui, pourvu qu'on les préserve jalousement, qu'on les nourrissent pour qu'ils se raffermissent et s'ancrent dans nos consciences et notre vécu quotidien, seront le meilleur rempart contre toute velléité future d'assujettissement, d'où qu'elles viennent et peuvent en même temps former les bases d'une communauté humaine forte, solide, évoluée, tournée vers l'avenir, respectable et respectée.

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