Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Wednesday, January 19, 2011

Aveuglement

Ce soir, je penche à croire que c’est là la chose la mieux partagée au sein de la classe politique tunisienne, tous bords confondus.
Je savais déjà que c’était ce qui caractérisait le mieux nos gouvernants successifs jusqu’au dernier en date qui, avec un minimum de discernement, aurait sans doute sauvé sa tête et son régime. Il aurait suffi qu’il lâche un peu de leste en accordant quelques concessions sur les libertés fondamentales, la formation et l’activité des petits partis politiques dont le nombre des militants parfois dépasse à peine celui des membres de leurs organes de direction, se contentant de victoires électorales à hauteur de 60 à 65 – allons, ne soyons pas radins et disons 70 pour cent, se passant et privant ses proches de la manne du gangstérisme d’état, pour qu’il garde les rênes du pouvoir solidement entre les mains tout en jouissant de la légitimité populaire, de l’approbation et même du respect de "la communauté internationale", par ailleurs facile à contenter. Malheureusement pour lui et heureusement pour le pays et le peuple, un excès de cupidité ou de confiance ou peut-être les deux à la fois l’ont empêché de le comprendre.

Les événements récents nous montrent que cet aveuglement n’est point l’apanage du seul président déchu. Déjà, ses lieutenants qui lui ont succédé, forts de leur expérience et de la sienne, de toute leur compétence technocratique et de leur capital d’hommes intègres et loyaux, ont montré, cette fois-ci malheureusement pour eux-mêmes et peut-être même pour le pays et le peuple, je le crains fort, qu’ils n’étaient guère mieux servis en matière de sensibilité et d’intelligence politiques.
Seuls restaient les représentants de l’opposition politique et de la contestation civile.
Qu’en est-il de ces miraculés de l’histoire qui se sont réveillés un beau jour de janvier pour se retrouver les héros que tout le monde attend et les acteurs incontournables d’une "transition" que personne de sensé n’oserait imaginer sans eux. Une occasion en or qu’ils n’auraient jamais pu imaginer dans leurs rêves les plus fous ?
Déjà, à la suite du dernier discours de monsieur Ben Ali, la veille de son départ, lors de l’émission guignolesque concoctée dans la foulée, bon nombre d’entre eux se sont précipités, qui sur les plateaux, qui aux micros de rue, qui au téléphone, pour se féliciter des signes indéniables d’ouverture. L’un d’eux particulièrement euphorique jubile carrément en croyant reconnaître dans le contenu de ce même discours qui servit de matière à la chronique inaugurale de ce blog, sa propre empreinte, énumérant un à un les éléments qu’il avait personnellement soufflés au premier ministre d’alors et d’aujourd’hui !
Une chose est indéniable. A une étape aussi tardive du processus et à un stade aussi avancé du soulèvement populaire, les membres de cette gente, pourtant tous des militants de longue date rompus aux luttes et aux analyses politiques, étaient encore incapables d’évaluer les données de la situation présente et de jauger l’équilibre des forces à leurs juste mesure (ne sont-ce pas là les expressions propres au jargon de la profession ?).
Sans fausse modestie, citoyen ordinaire pratiquement apolitique, physiquement et moralement coupé de la réalité du pays, sans autres armes qu’un fond de culture générale, votre humble serviteur croit pouvoir affirmer avoir fait mieux dans le genre sans risquer le ridicule.
A force de me l’entendre répéter par les amis, y compris les plus proches, et les autres, j’avais fini par me convaincre moi-même que j’étais un cas désespéré de pessimiste irréductible. En relisant mon avant-dernière chronique, je me dis que je devais en l’écrivant baigner dans un optimisme béât !
Tout en revisitant l’histoire récente et moins récente de nos "opposants historiques" qui me semblait fournir des éléments assez probants pour formuler un diagnostic et, surtout, un pronostic peu rassurants, j’ai pris soin d'esquisser l’un et l’autre en des termes relativement prudents, tout en optant pour le ton de l’interrogation et de la conjecture, sans risquer la moindre affirmation. Même en éliminant les précautions oratoires et les moyens de la rhétorique, je ne voyais pas le sort le plus noir que j’imaginais pour les membres de cette gente se concrétiser avant quelques mois. Preuve de mon optimisme excessif, il n’aura pas fallu plus que quelques heures pour voir ce sort se profiler.
Où en est-on aujourd’hui déjà ?
Ne (re)parlons pas du président de la république par intérim et de son premier ministre qui ont mis quatre jours à se rendre compte qu’il fallait démissionner du parti unique. L’aveuglement n’a manifestement pas fini de faire des dégâts parmi les membres de cette caste.
Dans le camp de l’opposition politique et de la contestation/revendication associative, le tableau n’est guère plus reluisant. Les ministres à peine proclamés hier se pressent aujourd’hui au portillon pour remettre leurs démissions ou "suspendre" leur appartenance au nouveau gouvernement (sic) ! En vertu de quoi se sont ils précipité de s’engouffrer dans le tourniquet de la porte de la Kasbah pour aussitôt ressortir de l’autre côté sans être même entrés ?
Les uns réclament maintenant l’exclusion de leurs collègues d’un jour, membres du RCD. Ne savaient-ils donc pas qui allaient être leurs voisins de table ? Aux dires de certains d’entre eux, ils l’auraient appris à la télévision !! Allons messieurs ! Quel éveil ! Quelle attention ! Et dire que vous alliez veiller aux destinées de secteurs entiers des affaires du pays, que dis-je ?, sur son avenir tout entier ! Rien que d’y penser, j’en ai des sueurs froides dans le dos. D’autres seraient offusqués par ce qu’a déclaré un certain collègue sur le compte "de la révolution et des révoltés". Ne savaient-ils donc pas que le collègue en question était déjà en poste, deux jours avant le départ de monsieur Ben Ali, et que les forces de sécurité sous ses ordres n’ont pas cessé de tirer sur la foule à balles réelles pendant ces deux jours ?!...
Ai-je encore besoin de prolonger la liste ? On est allé même jusqu'à arguer qu’après tout, le nouveau gouvernement n’avait pas encore tenu une seule réunion ni même prêté serment. Décidément, en matière d’hypocrisie, monsieur Ghannouchi et ses compagnons du gouvernement sortant sont laissés loin derrière !
N’aurait-il pas convenu de réfléchir un peu avant de se décider à entrer au gouvernement, de formuler des revendications claires et d’y lier leur participation ?
Naïf et inculte comme je le suis, j’aurais pensé qu'on n’entrait pas dans un gouvernement sans un accord de gouvernement établi par écrit et agréé au préalable qui aurait dû être lu au moment même de la proclamation de la formation dudit gouvernement, avant même la divulgation des noms de ses membres et en présence de toutes les parties prenantes…
A défaut de tout cela, je me demande s’il n’aurait pas été plus sage pour ces pauvres gens, une fois le mal fait, de "réchauffer leurs sièges" (excusez l’emprunt à l’arabe dialectal tunisien) et d’attendre quelques temps ou, mieux encore, une sérieuse infraction aux principes convenus de la part de leurs partenaires (encore faut-il qu’il y en ait eu !) pour se ménager une sortie honorable.
Quel visage offre-t-ils au peuple au bout de cette aventure ? Espèrent-ils sérieusement pouvoir (re)gagner sa confiance ? Auront-ils la moindre chance d’être élus dans les élection libres de demain (dans six mois ou un an, peu importe) lorsqu’ils vont présenter leurs candidatures ?
En face, qui s’est porté à la tête des manifestations d’aujourd’hui contre le gouvernement de rafistolage et contre  le RCD ?
L’un des chefs du mouvement de monsieur Ghannouchi (l’autre) à peine sorti de prison... Ne vous méprenez-vous surtout pas ! Ce n'est pas Aljazeera qui me l'a appris, mais le journal Le Monde.
Quelle misère ! Quel gâchis !
Comme elle a raison cette militante remarquable et remarquée qui, défendant bec et ongles la participation de son parti au gouvernement, croyait coincer ses contradicteurs en leur demandant quel autre alternative ils voyaient à part la prise du pouvoir par les militaires ! Vu le cours pris par les événements et l'impasse qui pourrait résulter de ce faux-pas collectif avec le risque de se retrouver avec un gouvernement mort-né, je me demande s'il reste d'autres alternatives que celle-là même que cette dame a évoquée et que, paraît-il, certains des manifestants de ce jour ont appelé de leur voeux, sans parler du fait que c'est certainement la solution qui plairait le plus à bien du monde en dehors de nos frontières. Seulement, si cela arrivait, ce ne serait sûrement pas dû au refus opposé à ce gouvernement, mais bien aux conditions et aux modalités de sa formation.

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