Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Sunday, June 19, 2011

De la pertinence d'un pacte national

Vous l'aurez compris, ce qui m'a amené à poster cet article, c'est le débat qui occupe la scène politique depuis un certain temps et qui ne finit pas de rebondir, le projet prenant tour à tour différentes appellations, d'où le choix de me contenter d'utiliser le terme générique de "pacte" ou de "charte", les dénominations, loin d'être le seul aspect singulier de "la révolution tunisienne", étant peut-être même la marque par excellence de la singularité de cette "révolution" et, vous m'en excuserez, ce n'est là qu'une raison de plus pour moi de ne pas être capable de reproduire ces différents noms (parfois à coucher dehors) et de ne pas m'en émouvoir outre mesure.
Mais, d'abord, a-t-on besoin d'un pacte ou d'une charte national(e) ? Dans la mesure où l'on entend ce pacte ou cette charte au sens d'un texte solennel servant à la fois de socle, de référence et de point focal de ralliement pour l'état-nation et pour l'ensemble de la communauté qui constitue cet état-nation, des hommes et femmes qui en font partie et qui s'y reconnaissent, la réponse me semble évidente et elle ne peut être que par l'affirmative. Oui, telle charte est indispensable et elle a un nom : c'est la Constitution. Quoi de plus évident ! La Constitution parce qu'elle est le texte suprême et la loi fondamentale dans tout état moderne, parce qu'elle a justement force de loi au-dessus de toutes les autres lois, parce qu'elle est censée tirer sa légitimité de l'adhésion de l'ensemble d'un peuple dont elle est l'émanation, parce qu'elle définit les principes qui fondent l'état et qui sont le dénominateur commun à l'ensemble de la nation, parce qu'elle définit les traits essentiels de cet état, le mode de gouvernement et d'organisation de la société, les droits et les liberrtés garantis à tous les citoyens et, enfin, parce que son texte est élaboré par un organe représentatif issu du suffrage universel, l'Assemblée Constituante, son adoption pouvant même être sanctionnée par un second vote populaire lorsqu'elle se fait par voie de référendum. Le type de régime, c'est la constitution qui le définit. Les principes intangibles, les droits inaliénables, c'est aussi la constitution qui les énonce.
Quel pacte, quelle autre charte peut avoir valeur au vu de cette Charte ? Quelle peut en être la fonction en sa présence ? Quelle légitimité aurait-elle ? Comment ce texte se définirait-il par rapport à la constitution lorsqu'on sait que cette dernière émanera d'un organe représentatif alors que le texte en question ne serait, au mieux, que le produit d'une instance elle-même issue d'un mélange de désignation (par un gouvernement provisoire auto-proclamé) et de cooptation ? Peut-il être vu comme une sorte d'étoffement ou d'annotations à celui de la constitution, voire même de clefs pour son interprétation lors même que, s'il voit jamais le jours, il sera de paternité différente, qu'il émanera d'un processus différent et, comble du paradoxe, il aura probablement été conçu bien avant que ne le soit la constitution ?! Si telle n'est pas la fonction à laquelle ce texte est destiné dans l'idée de ses promoteurs, les choses étant ainsi, qu'adviendrait-il s'il devait y a avoir quelque contradiction, divergence ou même quelque nuance de sens entre le texte de la charte, du pacte ou de la "déclaration" et celui de la constitution, ce qui n'est nullement improbable vues les circonstances de leurs genèses respectives (j'irai même plus loin en disant que l'on n'aurait pas senti le besoin urgent de mettre en place un tel texte si l'on n'avait la crainte de voir certains principes auxquels on tient ne pas figurer dans la constitution à venir ou de voir cette dernière en contenir d'autres dont on ne veut pas ou que l'on redoute) ? Lequel des deux textes fera foi ? Lequel des deux aura la prééminence ? Vous me direz, la question est sans objet ; la constitution bien sûr ! Je veux bien. Mais, alors, quelle sera l'utilité de ce deuxième texte ?
Pis encore, à vouloir multiplier les textes, ne risque-t-on pas en fin de parcours de couper la branche sur laquelle on est assis en minant justement ce texte suprême, cette loi de toutes les lois qu'est la constitution ? Ce bref exercice de réflexion d'un profane me semble suffisant pour révéler l'incongruité de la démarche et son manque de consistance conceptuelle, tant l'idée me semble prête à prendre l'eau de toutes parts. Les éminents politiciens et autres experts qui ont formulé le projet peuvent-ils ignorer ce qui semble au modeste citoyen que je suis relever du ba ba ? Mon ego serait bien flatté si tel était le cas, mais je crois qu'il est plus réaliste d'écarter une telle éventualité (et tant pis pour ma vanité !).
"Et alors ?" comme le disait le sketch de Raymond Devos.
Eh, bien, à mon humble avis, la réponse n'est pas sorcière. Ceux qui cherchent à mettre en place un autre texte fondamental qui est à la fois parallèle à la constitution et qui la précède appréhendent déjà le résultat des élections de la constituante et, par là, le type de constitution auquel on pourrait aboutir selon la configuration de la prochaine assemblée. Pour simplifier, et je ne pense guère qu'il s'agirait là d'une simplification abusive, c'est le spectre d'un raz de marée islamiste et des options et orientations qui risquent d'en découler qui se profile à l'horizon aux yeux des diligents promoteurs de cette initiative et c'est ce qu'on cherche à prévenir et à circonscrire à tout prix même si ce prix revient à mettre en défaut la raison politique, voire le bon sens tout court.
Sachant quelle est la position du mouvement Ennahda sur la question de ce pacte ou de cette charte, on peut penser que c'est cette position-là que je défends ou, du moins, que j'apporte de l'eau au moulin des champions de cette position. Or, ceux qui me connaissent peu ou prou, les habitués de ce blog et ceux qui ont lu mes articles ici et mes commentaires ailleurs savent très bien à quoi s'en tenir sur mon compte et sur ce que je pense des islamistes et de leur projet de société. Là où je diverge avec pratiquement tous leurs détracteurs, c'est sur la manière dont on les traite et dont on veut leur faire face. Et cette manière telle qu'elle se cristallise à travers cette espèce de jeu de (pseudo) dupes, tantôt à l'occasion du débat sur la date des prochaines élections, tantôt à la faveur de celui sur le "pacte républicain", est le meilleur moyen d'apporter de l'eau au moulin des islamistes en discréditant l'ensemble de la classe politique qui tente de leur faire front en révélant sans peine ses véritables motivations et en mettant à jour ce qu'il ne serait pas difficile de dénoncer comme... des manœuvres ayant pour objectif ultime de court-circuiter le processus démocratique et d'hypothéquer le choix populaire. C'est d'autant plus vrai que comme je l'ai écrit dans un précédent article, c'est peine perdue que toutes ces précautions. On peut harceler monsieur Ghannouchi et ses amis à l'infini pour qu'ils disent, écrivent, signent et contresignent déclarations et professions de foi et tous les pactes, toutes les chartes possibles et imaginables où ils renonceraient à l'islam comme principe fondamental régissant la société et à tous les préceptes et les concepts qui en découlent et dont il est inutile de faire un récapitulatif partiel ou exhaustif et, quand bien même il s'y soumettraient comme ils ont pu le faire jusqu'ici en des termes plus ou moins clairs ou ambigus et de plus ou moins bonne (ou mauvaise) grâce, il serait naïf de vouloir les prendre aux mots et de ne pas se remémorer cette fameuse citation devenue sentence qui dit que les promesses n'engagent que ceux qui les croient.  Ce faisant, le seul résultat concert qu'on risque d'obtenir c'est de forcer ces gens et peut-être même les aider à ne pas dévoiler leurs batteries d'emblée, ce qui rendrait leur programme moins effrayant ou, du moins, moins répulsif pour ceux qu'il devrait effaroucher s'il était exposé dans toute sa portée. Ne serait-il pas, dès lors, mieux indiqué pour ceux qui tiennent à certains principes et certaines valeurs et craignent pour ces principes et ces valeurs de s'unir dans un front, une alliance ou même une coalition pour formuler les principes et les valeurs en question et s'engager à les défendre par l'action politique dans la transparence et le respect des règles du jeu démocratique et de formaliser cet engagement dans la lettre mais aussi d'agir en conséquence ? Outre le mérite de la clarté et de la cohérence, une telle option aurait celui d'avoir bien plus de chances réelles d'aboutir ; l'adhésion qu'elle recevrait si elle est atteinte serait plus réelle ou moins artificielle. En outre, elle permettrait d'avoir un corps d'idées, de notions et de concepts plus solide et plus cohérent plutôt que d'aboutir à un patchwork, une espèce de mosaïque faite de pièces éparses, variées et incompatibles comme cela peut seulement être le cas dans un jeu d'hypocrisie et de contre-hypocrisie, de manoeuvres réciproques, chacun des deux bords cherchant à faire passer ses propres soucis et exorciser ses démons en faisant mine de faire des concessions sur ceux de celui d'en face.

1 comment:

  1. En effet, "pacte", "charte" ; mais, dans la mesure du possible, éviter le "consensus" (qui n'est qu'absence de règles précises...) et opter courageusement pour le "dissensus" car ce qui sépare unit mieux et en tout cas rend les tragédies moins faciles...

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