Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Sunday, July 3, 2011

A propos de l'épisode de l'AfricArt

Monsieur S. Ben Mhenni en parle dans un récent article où il appelle à analyser l'événement "avec beaucoup de calme, mais aussi avec beaucoup de lucidité". Mais s'il fait bien de poser une série de questions sur l'identité des agresseurs , "qui les organise (...), qui les mobilise", s'ils représentent "vraiment juste une toute petite minorité", sur la raison de la réaction timide et surtout tardive de la police et sur ce que les organisateurs de la projection auraient pu ou dû faire pour se protéger, il n'offre pas de réponses à ces questions tout à fait pertinentes et se contente de quelques exhortation à la vigilance, à la solidarité et à la résistance.
Or, je pense qu'il est, au moins, tout aussi important de rechercher les réponses. N'ayant moi-même pas pris part ni même assisté aux faits et ne disposant d'aucune information aussi bien sur le film et son contenu que sur son auteure, je vais tenter d'ébaucher des débuts de réponses qui restent cependant forcément provisoires et incomplets et, en tout cas, génériques.
D'abord, qui ?
Quand on ne dispose pas d'éléments de preuve précis, on peut virtuellement envisager deux hypothèses principales. Soit que les agresseurs fussent réellement ce que donnaient à croire leur aspect et leur comportement apparent (apparences vestimentaires, discours...), à savoir des militants "islamistes" au sens d'activistes qui se réclament de l'islam comme référence centrale sinon unique dans leur vision et leur action politique et qui se présentent comme défenseurs de cet islam dans l'acception qu'ils en ont (on peut naturellement penser à Ennahda, mais aussi à Hizbi-t-tahrír et à d'autres encore) ; soit ce sont des imposteurs (agitateurs, provocateurs) qui simulaient une fausse identité politique (celle de militants islamistes) à des fins plus ou moins déterminées (nuire à l'image de marque des partis et mouvements évoqués plus hauts, susciter un mouvement d'hostilité et de rejet vis-à-vis de ces derniers, créer un climat de terreur et d'insécurité qui pourrait favoriser certaines postures ou certains choix politiques et certaines décisions, focaliser l'attention sur l'événement et ses vraies ou fausses implications idéologico-politiques pour mieux la détourner d'autres centres d'intérêt...). Comme on le voit, les possibilités de lecture sont à la fois multiples et riches et paraissent, de prime abord, toutes aussi plausibles les unes que les autres, quand on ne dispose pas de plus d'informations et d'indices pour pencher en faveur de l'une d'elles, et la vigilance et la lucidité commencent déjà à ce niveau et exigent de s'en tenir à une rigueur absolue sans concessions et sans facilités dans l'analyse. Ceci, dit, les réactions des tenants de la principale tendance politique visée plus haut telles qu'elles se lisent dans le communiqué officiel d'Ennahda et dans les déclarations publiques de certains de ses représentants et/ou sympathisants qui se contentent de "déplorer" ce qui s'est passé tout en s'empressant de justifier les faits et de condamner vigoureusement ceux qui étaient censés être les agressés comme étant les véritables agresseurs, nous amènent à constater que même s'il peut objectivement ne pas avoir été l'instigateur direct de l'attaque en question, le mouvement de monsieur Ghannouchi ne la désavoue pas et se verrait même plus proche de ses auteurs que de leurs victimes. Cette attitude conciliante vis-à-vis des défenseurs fervents de l'islam et la sévérité affichée à l'égard de ceux qui sont présentés comme étant les ennemis de ce dernier ainsi que le fait de n'avoir à aucun moment cherché à se démarquer des assaillants de l'AfricArt ni à évoquer l'hypothèse de tiers qui chercheraient à prêter à Ennahda des agissements qui ne sont pas les siens, sans écarter définitivement l'hypothèse de la simulation-manipulation, la rendent moins probable et montrent surtout que les agissements en question ne sont pas contraires à la logique d'Ennahda. En fait, un facteur important qu'il ne faut pas perdre de vue est que le mouvement islamiste en général n'est pas aussi uniforme qu'on peut le croire. D'abord, il y a Ennahda et il y a les autres petits partis ou groupuscules dissidents, réfractaires ou simplement indépendants de cette dernière qui tout en se réclamant du référent idéologique islamique ont leurs propres interprétations au plan théorique et stratégico-tactique. Mais, même au sein d'Ennahda, il n'est pas du tout dit que tout le monde a la même analyse de la situation et la même conception du rôle du mouvement, de ces objectifs ultimes et des voies et moyens pour les atteindre. Une chose est certaine, cependant. C'est qu'il faut être d'une naïveté et d'une inconséquence impardonnables pour s'attendre à ce qu'un mouvement politique qui se réclame de l'islam, quelles que soient son acception de cette religion et son interprétation du corps de croyances et de préceptes qui la constituent et quoi qu'il dise, puisse être réellement favorable à une société démocratique basée sur le pluralisme politique et intellectuel et sur la liberté des croyances et des opinions. C'est ce qu'il faut comprendre une fois pour toutes. Sinon, tant pis pour les naïfs et les crédules !
Pour tout croyant, quiconque ne partage pas sa foi est un káfir, un mécréant qu'il faut selon les cas et les circonstances éviter, combattre, assujettir ou tuer (on trouvera des citations textuelles et des postures irréfutables et indiscutables dans le corpus coranique et celui des traditions du prophète à l'appui de chacune de ces options, même si l'on peut selon les obédiences privilégier l'une ou l'autre), mais jamais  tolérer sa présence et encore moins coexister avec lui en paix. Dire ou faire quoi que ce soit qui soit contraire à sa croyance est d'emblée perçu et vécu comme une agression contre sa personne et sa foi, à la différence de ce qu'il peut lui-même dire ou faire par rapport aux croyances ou aux postures intellectuelles de "l'autre" mécréant parce que, pour le croyant, il y a une seule vérité possible et c'est la sienne ; tous les autres ont tort. Si vous ne partagez pas sa foi, vous êtes un ennemi mortel. Que vous disiez ne pas croire en dieu, en l'au-delà, au caractère divin du coran ou en l'immuabilité et l'authenticité du texte qui nous en est parvenu ou que vous disiez "seulement" que le jeûne n'est peut-être pas obligatoire, que les boissons alcoolisées ne sont pas tout à fait interdites sur la foi du texte premier ou encore que les prescriptions édictées au Hijáz, il y a de cela quatorze siècles, à supposer qu'elles eussent été pertinentes pour le lieu et l'époque en question, ne le sont pas forcément tout autant pour tout lieu et toute époque, vos dires auront pour lui un caractère blasphématoire intolérable et constitueront à ses yeux une marque d'irrespect pour lui-même, pour sa communauté et pour sa foi et une "provocation"/"agression" impardonnable qu'il convient de réprimer et châtier de la manière la plus sévère. En revanche, si lui vous traite de mécréant, d'apostat, d'hypocrite, s'il qualifie vos pensées, vos dires et vos actes d'hérésies et de crimes, il ne fait qu'énoncer la vérité et corriger des erreurs et des errements de la pensée et du comportement. Non seulement, il ne fait de mal à personne, mais il fait œuvre utile pour le bien de la société et pour votre propre bien à vous ! D'où l'inutilité de ces discours sempiternels sur la nature "fondamentalement tolérante" de la religion musulmane "authentique" ou encore sur les "traditions de notre pays", sur le caractère "strictement personnel" du fait religieux et le fait que seul dieu (en l'occurrence Allah) peut demander des comptes à ses sujets, par ailleurs tous forcément croyants et fidèles à sa religion. C'est un débat perdu d'avance comme on ne cesse de le constater, la question réelle étant de savoir si l'on veut ou non édifier un espace de coexistence plurielle et de liberté de croyance et d'opinion aussi bien pour les musulmans de toute obédience et de tout courant que pour les non-musulmans qu'ils soient d'autres confessions ou athées, même si les uns sont numériquement majoritaires et les autres minoritaires, où tout un chacun a droit au respect de sa foi ou de sa non foi de sorte qu'il peut la vivre, l'exprimer et l'exercer sans crainte. Si l'on se résout enfin à poser cette question à tous les courants organisés en partis ou en d'autres structures et à toutes les figures publiques, on verra comme les choses, les enjeux et les clivages deviendront tout d'un coup plus clairs comme ils ne le sont pas du tout dans ce jeu du chat et de la souris entre les tenants des courants "modernistes" (voyez déjà où commence l'ambigüité et le jeu de masques !) et les "islamistes". La seule limite admissible dans une telle règle c'est celle qui reviendrait à enfreindre ce principe pour n'importe quel groupe ou individu en empêchant l'un de boire une bière, de danser, de se baigner en bikini ou d'écrire ou déclarer ce qu'il croit et ce qu'il ne croit pas ou tel autre de faire ses prières chez-lui ou à la mosquée, de porter le voile ou encore de dire que si cela ne dépendait que de lui, il instaurerait une justice charaïque (basée sur la charia), restaurerait la polygamie ou l'esclavage ou repartirait à la conquête des territoires perdus par la communauté des croyants à commencer par nos propres contrées et y compris l'Espagne. Et que les gens puissent choisir qui suivre et qui élire, en connaissance de cause, lorsqu'on en arrivera au moment des choix politiques et électoraux.
Pour ce qui est de l'attitude de la police, une première clef pour la comprendre se trouve dans le communiqué publié par le ministère de la culture, avec un certain retard, certes, mais qui ressemble à s'y méprendre au communiqué... d'Ennahda. Ce communiqué qui représente la position officielle du gouvernement provisoire sur l'événement et, par extension, sur les débats en cours dans la société tunisienne sur des questions fondamentales telles qu'islam, politique, culture, identité, laïcité, religion, état...etc en dit long sur la posture de ce gouvernement par rapport aux choix fondamentaux que ces thèmes évoquent et montre que cette posture n'est ni "neutre" (peut-elle jamais l'être ?) ni favorable à une démocratie au sens explicité plus haut. On ne peut en aucun cas attribuer l'attitude largement passive de la police selon les témoignages à un manque de moyens ni à une retenue excessive dictée par la crainte des critiques des farouches défenseurs des droits de l'homme. Il suffit de comparer cette attitude à d'autres réactions en d'autres circonstances pour le voir. D'autre part, il n'est pas interdit de penser qu'un certain laisser faire volontaire comme dans d'autres situations de troubles menaçant l'ordre public ou la sécurité privée des citoyens (les événements de Metlaoui, notamment, mais aussi certaines manifestations de recrudescence de la délinquance) pourrait être conçu comme un bon moyen de dissuader les velléités trop libertaires et celles de rejet de l'omnipotence et l'omniprésence de l'état.
Enfin, pour la dernière question, s'il est légitime de préconiser la mobilisation pour la défense des libertés et la résistance à toutes les tentations hégémoniques et totalitaires d'où qu'elles viennent et s'il est également légitime de chercher à se prémunir contre les agressions qu'elles soient morales ou physiques, ces dernières pouvant avoir des conséquences graves, voire fatales, il n'en demeure pas moins tout aussi important de ne pas céder à la panique et d'éviter l'écueil du raidissement sectaire ou communautaire qui reviendrait à s'organiser en une quelconque force de "défense contre l'intégrisme" ou "l'obscurantisme"  et qui nous mènerait tout droit à une situation de guerre civile larvée ou déclarée.

1 comment:

  1. En effet, me semble-t-il, une lutte contre l'intégrisme ne peut pas être" intégriste";et seules "les Lumières" peuvent s'opposer à "l'obscurantisme";espérons que les "révolutionnaires" ne l'oublieront pas...

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