Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Thursday, March 17, 2011

Le gouvernement de la révolution ou celui du "changement" ?

La question mérite bien d'être posée au vu de ce qui se passe. Le "changement", c'est le mot utilisé par M. Caïed Essebsi dans une déclarations à l'occasion de son récent voyage en Algérie et au Maroc, mon premier, dit-il "depuis le changement". Simple lapsus ? Je crains bien que non ou, si c'est un lapsus, il est bien révélateur de l'état d'esprit non seulement du premier ministre actuel, mais bien celui de tout son gouvernement, voire d'une bonne partie de la classe politique en général, l'opposition "légale", "légaliste", "officielle", classique, appelez là comme le voulez ! Pour s'en convaincre, il suffit de se remémorer les agissements et les déclarations de M. Ahmed Nejib Chebbi qui ne se priva pas de rappeler lui-même qu'il avait accepté l'idée d'un "gouvernement de salut national" la veille du départ de Ben Ali, soit sous Ben Ali même, de sorte que l'on peut extrapoler et le qualifier de gouvernement "de changement" et non de rupture.
Pour en revenir à monsieur Caïed Essebsi et à son gouvernement, par-delà le remplacement de certains noms au sein de ce gouvernement, à commencer par son chef, la nette impression qui se dégage aujourd'hui, deux semaines après son avènement, c'est qu'il s'agit d'un gouvernement qui est la continuation de celui de monsieur Ghannouchi. Comment peut-il en être autrement quand on sait qu'il n'y a même pas eu de dissolution ou de démission collective du précédent et que l'on s'est contenté de pourvoir les postes laissés vacants par des démissions individuelles ? Quant à sa politique, à bien y regarder, on n'y décèle rien de radicalement nouveau que monsieur Ghannouchi lui-même n'aurait pas fait de son propre gré ou sous la pression de la rue (je pense bien sûr à la décision cardinale d'aller vers l'élection d'une assemblée constituante). Pour le reste, ce sont les mêmes louvoiements, les mêmes errements, les mêmes ambigüités.. A cet égard, l'épisode de la désignation des "nouveaux" délégués est exemplaire qui rappelle à s'y méprendre celui de la nomination des gouverneurs sous M. Ghannouchi. Mais c'est loin d'être le seul. Voyez ce qui se passe dans notre politique étrangère ! Au niveau des personnes, la page Ounaïes a certes été vite tournée, ce dernier payant finalement presqu'exclusivement le prix de ses maladresses verbales, mais ces sorties médiatiques malencontreuses mises à part, qu'est-ce qui a changé depuis ? Rien ! Aucun changement d'attitude vis-à-vis  de nos "partenaires" d'Europe et d'Amérique qu'on reçoit à tour de bras. Si deux heures d'insistance et de sollicitations répétées n'étaient pas venues à bout de l'imperturbabilité de notre ex-ministre des affaires étrangères d'une semaine pour lui arracher un seul mot d'empathie (on ne parle ni de sympathie ni encore moins de solidarité) avec le peuple égyptien soulevé contre son propre Ben Ali, on n'en aura guère eu davantage de la part de celui qui lui a succédé. Si la rue tunisienne n'a raté aucune occasion pour prendre parti lors des différents événements qui se sont succédé dans les pays arabes depuis son propre soulèvement, en Egypte, au Yémen, en Lybie..., le gouvernement qui est supposé être l'émanation de ce soulèvement, ne s'est pas exprimé une seule fois, même du bout des lèvres, pour exprimer sa solidarité sinon avec les insurgés, du moins avec les bombardés et massacrés, ni pour se démarquer des gouvernants qui n'ont d'autre source de légitimité que leur propre force et la peur des gouvernés. Notre cher gouvernement de transition a l'excuse toute prête. Il refuse de s'immiscer dans les affaires internes des pays voisins et amis et, puis, en tant que gouvernement de transition, il n'est pas habilité à prendre position dans des questions de politique étrangère. Soit ! Alors de quel droit notre premier ministre distribue-t-il ses bonnes grâces à droite et à gauche à des régimes qui n'ont point grand chose à envier au nôtre déchu, allant même jusqu'à se prononcer sur "les mesures courageuses" annoncées par le roi du Maroc en les saluant et en en félicitant l'auteur ? Ne s'agit-il pas là d'une affaire interne qui concerne peu-être le roi en question,  sûrement son peuple, mais qui ne regarde le gouvernement tunisien de transition en aucun cas ?..
Autre point qui ne manque pas de piquant, l'une des décisions "révolutionnaires" annoncées en grande pompe à l'avènement de monsieur Caïed Essebsi, c'est qu'aucun membre de son gouvernement n'aurait le droit de se présenter aux prochaines élections. Quoi de plus louable, n'en déplaise à M. Chebbi ! Mais, alors, comment se fait-il que l'un des ministres dit "technocrates" de ce gouvernement se voit permettre de créer son propre parti ? Que le "technocrate" en question se découvre soudain une vocation et même une ambition politique, c'est son droit le plus absolu. Mais, qu'il le fasse juste au moment où il a été fait appel à lui pour mettre ses compétences au service du gouvernement justement en tant que technocrate et lors même qu'on clame sur tous les toits que les membres de ce gouvernement n'aspirent à aucun avenir politique, alors, là, il y a un sérieux problème.
Nous avons vu ce que M. Caïed Essebsi a fait avec son gouvernement. (je ne parle pas de la dissolution de la police politique parce que je me suis déjà exprimé là-dessus) On peut aussi bien voir ce qu'il n'a pas fait ou fait mine de faire sans le faire. L'une des actions les plus pressantes devait consister à déterminer les véritables crimes qui ont été commis à l'encontre des individus et de la collectivité pendant l'ère Ben Ali, en désigner les coupables ou présumés coupables, traduire ces derniers en justice pour qu'ils répondent de ces crimes-là et non de petits délits de contrebande ou de fraude et récupérer les capitaux et biens indûment appropriés. Or, où en est-on de tout cela ? On a certes arrêté les Kallel, Ben Dhia et Abdallah. En revanche, la commission de monsieur Omar contestée dans sa composition; ses attributions et ses modes opératoires, au lieu d'être révoquée et remplacée par une structure ou une modalité plus claire et plus résolue, est laissée s'embourber dans ses contradictions et ses insuffisances et se débattre dans une bataille juridique de légalité et de légitimité à l'issue incertaine, de sorte que ni elle ni personne d'autre ne fait aujord'hui ce qui doit être fait à ce sujet. Les familles des victimes des violences d'état de la seule période de décembre-janvier derniers continuent de demander justice en vain. Pendant ce temps, les Trabelsi-Ben Ali continuent, eux, de se la couler douce en pleine jouissance de la fortune colossale qu'ils ont détournée ou extorquée en toute impunité aux quatre coins du monde...
On a souvent dit qu'on ne fait pas du neuf avec du vieux. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne déracine pas un régime politique avec les hommes, les structures et les méthodes mêmes qui ont construit ce régime et lui ont servi de socle, de support ou de suppôts. On n'effectue pas des changements radicaux avec des tacticiens, des manoeuvriers ou des manipulateurs, aussi bien rodés, aussi fins, aussi habiles soient-ils. En un mot, on ne fait pas la révolution avec des hommes du "changement"... dans la continuité.

1 comment:

  1. Très bon article, c'est ce que j'ai remarqué aussi chez Caid Essebsi, je pense qu'il ne comprend pas vraiment l'ampleur de sa mission. qu'il est la pour rétablir l'Etat à tout prix, sans comprendre les raisons qui ont ébranlé cet Etat il y a 3 mois.

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