Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Thursday, March 3, 2011

Drôle d'arithmétique

Depuis que les gens sont descendus dans la rue pour manifester leur mécontentement quant à la composition du premier gouvernement de transition (le fameux "gouvernement d'union nationale") ou certaines des mesures prises ou pas (encore) prises et même quand ils ont persisté dans leurs protestations et que leur nombre allait croissant, certains au sein du gouvernement même (M. Najib Chebbi en l'occurrence) se sont empressés de déclarer que "quel que soit le nombre des contestataires, il ne pouvait représenter l'ensemble des tunisiens ni même leur majorité" et qu'il n'était donc pas question de céder à la pression de ces "quelques milliers ou même dizaines de milliers de mécontents". (la suite des événements allait lui donner tort).
L'argument avait toute l'apparence de la validité sauf qu'on pouvait aisément lui rétorquer qu'en appliquant cette logique, on invaliderait la représentativité de ceux qui s'étaient soulevés contre le régime de Ben Ali et la légitimité de ce soulèvement et tout ce qui s'en est ensuivi, y compris l'accession de M. Chebbi lui-même et celle de ses camarades aux postes de ministres au sein d'un gouvernement tunisien. Ben oui ! Combien sont-ils ces martyrs dont on nous rabat les oreilles depuis la chute de Ben Ali et combien ont ils été à manifester et à appeler peu à peu à son départ, d'abord dans les petites villes de province, puis dans les grandes et enfin dans la capitale ? Quelques milliers, plusieurs dizaines de milliers, cent mille ou plus le 14 janvier à Tunis ? Et que représentent cent, voire même deux cents milles sur une population de onze ou douze millions ? Un pour cent, deux pour cent si on ne compte que la population en âge de s'exprimer et de voter ?...
Plus récemment, lorsque les protestations ont repris, appelant cette fois-ci à la chute de monsieur Ghannouchi et de son deuxième gouvernement, d'autres voix, cette fois-ci pas forcément au sein du gouvernement, mais également parmi certains milieux civils ou simplement citoyens, se sont élevées pour dénoncer cette "nouvelle forme de dictature" qui fait qu'une toute petite minorité s'exprime au nom de la majorité restée silencieuse et appeler la majorité en question à faire entendre sa voix. Fort heureusement, l'appel en question n'est pas tombé dans de sourdes oreilles puisque, depuis quelques jours, même si c'est arrivé un peu tard, monsieur Ghannouchi ayant déjà présenté sa démission, des centaines, puis des milliers de personnes sont sorties à leur tour pour exprimer leur soutien à ce dernier et leur ras-le-bol face au maximalisme et du jusqu'au boutisme des empêcheurs de tourner en rond, qu'il s'agisse d'individus, de groupes ou même de partis et d'organisations qui ne cherchent qu'à servir leurs intérêts cachés ou simplement à emmerder le monde. Quoi de plus normal ? On est bien en démocratie, désormais, et il doit être donné à tout le monde d'exprimer son point de vue, d'exiger le départ du gouvernement ou, au contraire, son maintien. Même s'il y en a qui veulent le retour de Ben Ali ou souhaitent voir le petit Mohamed intronisé et sa mère ou encore son oncle assurer la régence en attendant qu'il soit en âge de gouverner, ils ont le droit de faire connaître leur opinion et même de militer pour la faire prévaloir. C'est ça la démocratie et la tolérance. Certes ! 
Le problème, c'est que, maintenant, plusieurs voix enthousiastes parmi les pro-gouvernement de transition, pro-Ghannouchi, pro-normalisation avec retour au travail et cessation de toute contestation ou revendication célèbrent triomphalement le réveil et l'audace de cette majorité tantôt silencieuse et qui s'est enfin exprimée par les voix des vaillants redresseurs de torts d'El Menzah (Que voulez-vous ? Comme on dit chez-nous  .كل حد من صندوقه يلبس  Pour les gueux, enfin, la plèbe, c'est la Kasbah ; pour les gens bien, c'est El Menzah. Ça aussi, c'est la démocratie !). "La majorité silencieuse sort de son silence et fait entendre sa voix !" Oui, mais, attendez ! Combien sont-ils ces contre-manifestants selon les estimations les plus généreuses ? J'ai vu quelque part le chiffre de vingt milles. On va dire trente ou même quarante. Allez, au diable l'avarice ! Disons carrément cinquante milles. Mais comment ces cinquante milles supposés (chiffre gracieusement concédé dans un élan excessif de magnanimité, ne l'oublions pas !) peuvent-ils être considérés représentatifs de la majorité absolue des tunisiens ou même de cette fameuse "majorité silencieuse" (entendez la première moins la masse de manifestants, des protagonistes du sit in de la Kasbah et les autres qui s'expriment dans les journaux, dans des blogs ou sur facebook) qui se compte par millions alors que les "autres", les "contre", eux, ne le sont pas, même si leur nombre est, à l'évidence, nettement supérieur aux "pour" ?! Et d'abord, qui nous dit que les millions de tunisiens qui étaient "silencieux" et le sont restés, ne se joignant ni aux hordes de la Kasbah ni aux cortèges d'El Menzah pensent tous la même chose que les derniers cités et pas les premiers ? Ne serait-il pas plus vraisemblable ou, du moins, simplement plausible qu'ils sont, en partie, partagés entre les deux extrêmes représentés par les uns et les autres, dans des proportions plus ou moins comparables, avec par ailleurs une ou plusieurs autres positions nuancées situées plus ou moins à mi-distance entre les deux extrêmes en question et épousées par des franges plus ou moins nombreuses de cette masse "silencieuse" ?
N'est-ce pas là une drôle d'arithmétique et une parfaite illustration de la fameuse expression "deux poids, deux mesures" ?

No comments:

Post a Comment