Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Wednesday, January 26, 2011

Manoeuvres

Elles sont de plusieurs ordres, autant que je puisse constater, et elles visent toutes le même objectif, à savoir affaiblir l'opposition manifestement tenace et suffisamment conséquente au "gouvernement d'union nationale" et la décridibiliser en même temps. En d'autres termes, on cherche à en réduire l'ampleur et l'envergure autant que faire se peut et on essaye d'enlever aux têtus tout crédit. On pourrait me répondre que c'est de bonne guerre et qu'il s'agit là de deux tactiques courantes vieilles comme le monde en politique. Certes. Encore faut-il être prêt à admettre cette acception machiavélique de la politique. Mais, quand bien même telle approche serait concevable en temps normal, elle ne peut nullement l'être quand on parle d'une période charnière telle que "la transition" actuelle et d'un gouvernement "d'unité nationale", voire de salut public.

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La première de ces manœuvres se joue sur le terrain de l'information. Je dois tout de suite avouer que je n'ai pas le loisir de suivre tous ses moyens nationaux, mais je suis assez régulièrement la télévision tunisienne ces jours-ci pour pouvoir en juger, d'autant plus que cette dernière est l'organe de l'information publique par excellence et que le gouvernement ne peut être étranger à ses orientations et à son mode de fonctionnement. Déjà, hier, mais dans des articles précédents également, je donnais quelques indications sur ce mode et ses orientations. Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que par-delà les hésitations et les atermoiements de la semaine passée qui a vu cette télévision osciller entre le ridicule et le grandiose dans sont traitement des événements et dans ses rapports avec leurs acteurs respectifs de tout bord, à commencer par le bon peuple, et les balbutiements de ses présentateurs entre des efforts de sincérité et de probité évidents et des petits chefs d'œuvre d'hypocrisie et de manipulation primaire, il est désormais clair depuis hier qu'elle a fini par savoir sur quel pied danser et elle a (définitivement ?) choisi son camp.
C'est apparent dans son choix de la matière présentée telle cette incroyable série d'entretiens avec des représentants du troisième âge, que dis-je ? du quatrième âge au moins, à l'heure de "la révolution des jeunes". J'en ai dénombré au moins trois au cours des dernières 24 heures, tous soigneusement choisis, tous rediffusés (le plus récent a même été diffusé deux fois coup sur coup en moins de...4 heures ! D'ailleurs, c'est fou le nombre de rediffusions de toutes sortes dont on est gratifié ces jours-ci, sans parler des programmes sur les animaux,les ruines romaines ou encore les mosquées, comme s'il n'y avait pas une matière fraîche suffisante pour meubler les heures d'émission ou peut-être notre chère télévision est-elle à court de personnel et de moyens pour couvrir ce qui se passe "ici" et maintenant à l'instar d'une pauvre télévision du quart monde ou qui vient juste de voir le jour...). 
Un autre exemple de contenu est la proportion occupée par les voix de ceux qui "soutiennent" le gouvernement actuel et récusent l'opposition de la rue. Tout à l'heure je me plaignais de la prépondérance soudaine faite aux tout vieux. Eh bien, les jeunes ne sont pas en reste, surtout s'ils sont tout jeunes tels ce petit garçon dans je parlais dans ma précédente chronique. J'en ai vu beaucoup d'autres comme lui, depuis, tous animés du même ardent désir de voir reprendre les cours (quoi de plus légitime ?) et... cesser les manifestations ! 
C'est tout aussi apparent dans la manière de présenter cette matière et de l'éclairage ou la focalisation qu'on réserve à chaque élément de contenu. Premier exemple, dans le journal du soir d'hier on a pris la peine d'appeler le secrétaire général du syndicat de l'enseignement de base pour qu'il fasse entendre son point de vue sur la grève de son secteur (que je ne considère nullement pertinente ou justifiée, soit dit en passant). A peine a-t-il commencé a parler que la présentatrice a coupé court à la communication prétextant l'inintelligibilité de la voix, alors que la communication était d'une clarté cristalline. Il est déjà loin ce jour où l'on a entendu un autre représentant du même syndicat s'exprimer par téléphone en direct tout au long d'un débat avec le ministre de l'éducation parmi les participants et dire au ministre à plusieurs reprises qu'il n'était pas prêt à discuter avec lui des dossiers du secteur parce qu'il ne le reconnaissait pas et que, de toutes façons, il n'était là qu'à titre provisoire ! Cela se passait 24 heures plus tôt...
Deuxième exemple : au journal de la mi-journée d'aujourd'hui, on se propose de couvrir les manifestations anti-gouvernementales et les contre-manifestations de "l'autre camp". On entend les paroles de trois ou quatre participants à ces dernières et, curieusement, pas un seul de ceux qui ont pris part aux premières. On les a peut-être déjà assez entendus comme ça ! Et pour conclure le sujet,  comme si ce dosage savant ne suffisait pas, cette remarquable phrase agrémentée d'une image appropriée : "Entre les uns et les autres (sic), cet enfant innocent ne demande qu'à reprendre les cours." Encore un !!
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Ces nouveaux manifestants, justement, parlons-en ! Au risque de me voir accusé de parti pris, de sectarisme, de sentiments antidémocratiques profonds, je ne peux ne pas me poser une question. Sans nul doute, personne ne peut sérieusement imaginer que tous les tunisiens veulent abattre le gouvernement de monsieur Ghannouchi ou même le voir sérieusement remanié. Certains peuvent bien partager ce désir sans pour autant être prêts à descendre dans la rue pour le crier haut et fort. Il est probable qu'il y en a pas mal qui n'en font pas leur cause principale aujourd'hui. Il peut même y en avoir qui ne sont pas du tout dérangés par la situation actuelle ou même qui soutiennent carrément le gouvernement en question et ne veulent pas en voir d'autres... Mais, croyez-vous honnêtement qu'ils sont nombreux, si jamais ils existent, les tunisiens qui sont tellement fervents dans ce soutien qu'ils n'hésiteront pas à descendre spontanément dans la rue pour le clamer ? Je peux me tromper, mais je me permets d'en douter. A ce propos, on nous dit maintenant qu'ils ne sont que quelques centaines ou quelques milliers à manifester leur opposition au gouvernement et qu'ils ne peuvent représenter l'ensemble du peuple tunisien. Admettons ! Mais, alors combien étaient-ils à avoir manifesté le 14 janvier à Tunis et dans les grandes villes ? Quelques dizaines de milliers ? Plusieurs dizaines de milliers ? Deux ou trois cent milles ? Quelle proportion représentent-ils par rapport à l'ensemble du peuple auquel on nous renvoie aujourd'hui ? Pourquoi parler volontiers de volonté populaire et de "la révolution de tout un peuple" ? Quel est le seuil arithmétique pour trancher cette question de représentativité ? Et ces gentils opposants qui se sont retrouvés ministres au bout de leur longue traversée du désert ? Combien étaient-ils à exprimer à haute voix leur opposition au régime. Quelques dizaines ? Quelques centaines ? N'ont-ils pas parlé en leur temps au nom du peuple ? De quel droit l'ont-ils fait, alors ? Toujours dans l'ordre de cette invraisemblable logique algébrique, combien de partis sont aujourd'hui représentés au sein du gouvernement, le parti créé de toute pièce inclus ? Combien sont-ils à être dehors et à le contester...?
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En attendant que son sort soit réglé comme le veulent ses détracteurs ou comme il l'espère lui et pour essayer de contribuer activement à faire pencher la balance, le gouvernement vient annoncer des mesures d'urgence à caractère économique toutes à effet immédiat : indemnisation des familles des victimes des émeutes, paiement aux diplômés chômeurs d'une pension mensuelle "contre un travail temporaire à mi-temps", distribution d'une enveloppe d'aide au développement en faveur des régions...
A la nuance près, ces mesures rappellent étrangement celle annoncée par monsieur Ben Ali la veille de son départ concernant une baisse des prix des produits de base ou encore celle de "créer 300 mille emplois en deux ans". Je ne suis pas économiste, mais le peu de culture économique et d'abord de bon sens que j'ai me laisse croire qu'il s'agit là de mesures démagogiques qui relèvent de la logique de ce vieux proverbe tunisien qui dit : "remplis [leurs] la bouche et tu [leur] fera baisser les yeux !". En termes strictement économiques, elles ne sont tout simplement pas soutenables au double sens français et anglais du terme. Où va-t-on chercher l'argent nécessaire pour financer les mesures en question si l'on entend les appliquer sérieusement, quand on sait quelle était la situation financière du pays avant et surtout après les derniers événements ? Si au moins on pouvait espérer récupérer la fortune chipée par Ben Ali et les siens de sitôt ! Combien de temps on peut les maintenir surtout en ce qui concerne cette fameuse pension aux chômeurs ? Quel crédit peut-on espérer auprès des tunisiens ? Peut-être y en a-t-il suffisamment de naïfs et de crédules pour avaler ce genre de couleuvre, après tout. Mais quid de nos créanciers et nos bailleurs de fonds nationaux, transnationaux et internationaux ? La France, les États Unis, l'Union Européenne, la Banque Mondiale, le FMI... vont-ils eux aussi gober ça ? N'aurait-il pas été mieux indiqué de cesser d'infantiliser ce peuple et de le traiter en véritable adulte en écoutant ses revendications politiques légitimes et réalisables et en leur offrant des réponses décentes tout en le responsabilisant, en lui présentant l'état réel des lieux sur le plan économique et social et en l'appelant à se tenir prêt à payer de son labeur et de ses sacrifices avec la promesse de s'attaquer aux dossiers économiques et sociaux les plus brûlants dès que possible dans un véritable esprit de réforme et de saine gestion qui ne fera peut-être pas tomber la manne du ciel dans le giron de chaque père et mère de famille mais qui leur offrira, à terme, des solutions crédibles et durables ?
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A toutes ses constatations et interrogations viennent s'ajouter celles relatives à ce qui est devenu le feuilleton du "prochain remaniement ministériel". Il y a encore deux ou trois jours, il n'était même pas envisagé. Hier, il était devenu "possible mais pas certain". Aujourd'hui, on l'a d'abord dit "imminent" et même annoncé pour "demain" (je cite pour toutes ces positions/informations la même source, soit le porte parole du gouvernement) pour se raviser ce soir (par la voix d'un autre ministre, il est vrai) et nous dire qu'il "n'aura pas lieu nécessairement demain"... Et je ne parle pas de la nature de ce remaniement, s'il va se contenter de "pourvoir les postes vacants" ou s'il va inclure le remplacement de certains ministres dont les postes ne le sont pas du tout mais qui sont indésirables (le dernier ministre cité a su esquiver la question)...
Encore des manœuvres ! Encore des tergiversations ! Encore du rafistolage et des mesures à l'emporte pièce ! Décidément, on est loin d'être sorti de l'auberge.

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