Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Tuesday, January 25, 2011

Danger !

Bien que je fus comme je l'annonçais hier pris par un travail urgent qui accapare désormais tout mon temps disponible, il s'est produit aujourd'hui un événement exceptionnel qui ne pouvait me laisser indifférent, de sorte que je me suis efforcé de voler quelques instants pour venir livrer mes sentiments.

Ainsi donc, la grande muette ne l'est plus tout à fait qui s'est exprimée aujourd'hui par la voix de l'un de ses chefs, celui-là même qui sortit de l'anonymat qui a toujours entouré notre armée et ses hommes, y compris les plus éminents, il y a deux semaines à la faveur de rumeurs faisant état d'une tentative de la part du chef de l'état sortant qui a fait long feu de le démettre de ses fonctions à la tête de l'armée de terre pour son refus de faire tirer ses troupes sur la foule. L'intervenant parlait ainsi du haut d'un double prestige, celui de l'institution respectée de tout temps pour sa neutralité et sa discrétion et d'autant plus saluée ses derniers temps pour son attitude honorable au cours des événements de la révolution et le sien propre fraîchement acquis.
Ainsi donc, l'armée a fini par parler. Ce fait unique en son genre dans l'histoire de la Tunisie indépendante appelle quelques questions fondamentales.
Pour dire quoi ? A qui ? Et pourquoi maintenant ?
Un ami à qui je disais tout à l'heure que, pris par mon travail, je n'ai même pas pu suivre les informations du jour à part ce que voulait bien m'apprendre la télévision tunisienne à travers un streaming haché, me disais que la seule nouvelle importante du jour est plutôt rassurante et il me raconta que le Général Ammar a promis de protéger la révolution. Or, pour moi, la nouvelle en question est des plus inquiétantes.
Contre qui l'armée va-t-elle "protéger la révolution" ? Qui sont ceux qui risquent de la voler ? On est en droit de douter qu'il s'agisse de monsieur Ghannouchi et son "gouvernement d'unité nationale" car, si c'étaient eux qui étaient visés, pourquoi le général n'est-il pas allé le leur dire entre quatre murs comme on a pu dire en son temps d'après les dernières indiscrétions à monsieur Ben Ali qu'il fallait partir ? Pourquoi le dire à la foule amassée devant le palais de la Kasbah ? Ses ennemis de la révolution qui la guettent et contre qui l'armée la protégerait au besoin seraient-ils cette même foule dont une grande partie a marché sur la capitale du fin fond du pays pour demander le départ du gouvernement dont elle estime qu'il ne la représente pas et qui est, en toute vraisemblance, celle-là même qui a fait la révolution ? Dans ce cas-là, cela reviendrait à les protéger d'eux-mêmes ! Ou alors, s'agirait-il de quelqu'un d'autre ? Une sorte d'ennemi invisible que personne ne connaît (encore) à part l'armée ?...
Le général Ammar aurait mis en garde contre un "vide constitutionnel" et averti que l'armée ne tolérerait pas qu'on se joue de la constitution. Décidément, elle a bon dos cette pauvre constitution. Malmenée et piétinée à tout bout de champs jusqu'à hier (entendez jusqu'au départ de Ben Ali), la voilà tout d'un coup devenue sacrosainte, de sorte que rien ne peut plus être fait contre sa lettre, y compris quand il s'agit de déterminer les termes d'une transition dont l'une des toutes premières tâches est justement de redonner à cette constitution un sens et une virginité. Et voilà maintenant que l'armée s'en mêle pour la protéger.
Mais cette même armée si exemplaire, si légaliste, si loyale au peuple, où était-elle pendant les vingt-trois années passées ? Que n'a-t-elle arrêté la farce de gouvernement de monsieur Ben Ali ? Elle a, certes, désobéi à ses ordres de tirer sur la foule et n'a certainement pas beaucoup apprécié qu'il le fasse faire par d'autres forces et fasse couler le sang des fils du peuple, mais pourquoi l'a-t-elle laissé saigner le pays et son peuple à blanc pendant toutes ses années lui-même, sa femme, sa belle (!) famille et jusqu'au dernier de leurs laquais ? Elle lui aurait arraché le pouvoir pour mettre un terme au massacre blanc qui a suivi le coup blanc de 87 d'à peine quelques années, tout le monde aurait applaudi et personne, y compris les plus légitimistes, n'y aurait trouvé rien à redire et quand bien même quelques uns auraient protesté, ils n'auraient trouvé personne pour les écouter, surtout si, cette armée, fidèle à sa bonne réputation, ne l'avait fait que pour remettre les pendules à l'heure et remettre le pouvoir à des civiles crédibles et fiables au bout de l'inévitable transition...
Comme il n'en fut rien et qu'il a fallu que le bon peuple se charge lui-même de déloger le tyran et qu'il refuse aujourd'hui de se contenter de si peu, que se propose de faire l'armée si on ne lui donne pas satisfaction ? Prendre le pouvoir ? Pour en faire quoi ? Pour satisfaire ou servir qui ?
Si elle le fait, le peuple pourrait l'applaudir les premiers jours. Mais, il risque de vite déchanter comme elle risque elle-même d'y laisser l'immense crédit qu'elle a su patiemment amasser toutes ses années, finalement à peu de frais sinon celui de se retenir de se ruer sur le gâteau du pouvoir pourtant si attractif pour tout être humain normalement constitué. Reconnaissons-lui ce mérite !
On savait déjà depuis plusieurs jours que la descente de l'armée dans l'arène politique était le premier danger qui guettait le pays si une issue crédible n'était pas trouvée à l'impasse créée par monsieur Ghannouchi et ceux qui l'ont suivi tête baissée. Si cela se produit demain (ou après-demain), Ghannouchi, mais aussi Brahim, Chebbi, Baccouche et compagnie ne manqueront pas de pointer du doigt les "irréductibles et irresponsables" qui nous ont mené là avec leur "infantilisme". D'ailleurs, certains d'entre eux n'ont pas manqué de le dire ou d'y faire allusion de prime abord. Mais, on pourrait leur retourner le compliment et leur dire qu'il aurait suffi qu'ils nous offrent une formule plus décente qui ne sente pas à plein nez le rafistolage politique pour qu'on n'en soit pas là.
Je suis persuadé que, s'il avait présenté dès le départ un gouvernement moins ridicule, on aurait accepté sans trop de peine qu'il soit lui-même à sa tête. Il aurait même gardé quelques hommes de la vieille garde moins nombreux, moins marqués à des postes moins voyants, cela serait passé à la rigueur, même au prix de quelques grincements de dents à droite et à gauche, le tout étant question d'intensité et d'ampleur. Malheureusement, il n'en fit rien. Or, ce que je crains maintenant, c'est qu'il ne soit, encore une fois, trop tard pour les demi-mesure ou même pour "les deux tiers de mesure". C'est pourquoi, je n'attends presque rien qui vaille du soi-disant "remaniement ministériel" annoncé par certains et dont le contenu même est encore plus qu'incertain. Je doute fort que l'on puisse apaiser la rue par une ou deux démissions et quelques autres nominations. On aura, alors, été à nouveau victime de la technique du "différé" et de ces vieux réflexes et détestables habitudes qui ont fait tant de dégâts par le passé comme ceux qui semblent reprendre le dessus aujourd'hui à la télévision tunisienne qui, elle, a déjà entamé sa... contre-révolution.
Les deux derniers jours, j'en était arrivé à presque regretter ce que j'ai écrit sur son compte sur ces colonnes. Elle faisait mine enfin de donner la parole aux gens, y compris quand ils exprimaient les critiques les plus acerbes et les opinions les plus virulentes à l'encontre des gouvernants actuels. Louable tendance, certes, qui a fait, hélas, long feu. Depuis ce matin, tout n'est qu'appels au travail, aux études, au retour à la normale et condamnations sans ambages de ses fauteurs de troubles qui paralysent le pays par leurs marches et leurs revendications insensées véhiculés par des voix du troisième âge et des enfants, tel ce bambin d'à peine une dizaine d'années auquel un reporter zélé a commencé par lui demander ce qu'il voulait aujourd'hui avant d'enchaîner la réponse sous la forme d'une question : "Qu'avez-vous fait pour qu'il vous arrive tout ceci ? (sic) Et l'innocent gosse de répondre : "On n'a rien fait."!! D'ailleurs, tous les enfants interviewés aujourd'hui n'avaient qu'un désir. Reprendre les cours au plus vite !
Il est vrai que le pays et les mentalités ont beaucoup changé et que j'en suis désormais trop éloigné aussi bien par mon âge que par ma situation physique. De mon temps, il n'y avait rien de mieux pour faire plaisir à un enfant que de lui annoncer quelques jours sans école. Pourtant, on n'était pas forcément des cancres et des bons à rien !...

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