Par-delà cette vérité fondamentale énoncée par Aragon selon laquelle, rien n'est (définitivement) acquis à l'homme, il est encore trop tôt pour s'essayer à dresser un bilan, même provisoire, de la révolution tunisienne. Outre le renversement d'un homme dont on ne sait même pas s'il est irréversible (on ne sait jamais !) et quelques promesses beaucoup plus que des faits, du moins pour l'instant, il n'y a pas grand chose à inscrire au tableau des réalisations à ce jour. Et même ce qui semble nous avoir été donné (libération des détenus politiques, liberté d'expression, libéralisation des moyens d'information...) ou promis (élections libres et démocratiques, instauration d'un état de droit...), rien ne nous dit qu'il ne nous sera pas repris dans quelques jours ou quelques mois par ceux qui ont été obligés de nous le concéder ou par d'autres qu'eux parmi les premiers à en bénéficier aujourd'hui. Il suffit de voir comment s'exprime et agit M. Chebbi, hier dans l'opposition brimée et muselée, aujourd'hui (déjà, du moins semble-t-il le croire) au pouvoir !
Quels que soient les acquis, présents ou futurs, ils ne peuvent être que provisoires et dureront seulement aussi longtemps qu'on saura les défendre. Or s'il en est un que l'on peut d'ores et déjà enregistrer et qu'il faut s'efforcer de ne pas perdre avant tout autre acquis et mettre n'importe quel prix à le défendre quoi qu'il arrive, c'est bien le fait que le peuple a pour une fois pris conscience de son existence en tant que force collective pour rentrer dans l'histoire après en avoir été longtemps exclu et exprimer sa volonté pour dire ce qu'il veut et ce qu'il ne veut pas. Pour une fois, il a parlé et su se faire entendre en disant à ses bourreaux qu'il n'était pas d'accord avec ce qu'ils ont fait de lui ni avec ce qu'ils ont prévu pour lui et qu'il ne voulait plus d'eux. C'est, autant que je puisse juger, la seule donnée nouvelle dans tout ce qui s'est passé dont il faut avoir clairement conscience et qu'il faut savoir garder jalousement à l'avenir, quoiqu'il advienne car on ne sait pas de quoi demain sera fait.
A tout moment, il peut surgir un individu ou un groupe qui cherchera à s'imposer à nous et faire prévaloir sa volonté et ses intérêts sur les nôtres, invoquant au besoin des entités abstraites et des notions transcendantales insaisissables parce que placées toujours au-dessus des gens et en dehors de leurs existence et de leur réalité concrète telles que "l'intérêt supérieur de la Tunisie" ou de "la nation", "le bien du peuple" ou encore la "volonté de Dieu". Il importera alors de se souvenir de ce qui s'est passé en ce mois de janvier 2011 et pendant les longues années qui l'ont précédé et de dire haut et fort sans peur : "Désolés, on n'est pas d'accord. Le peuple c'est nous et nous savons mieux que quiconque ce qui nous convient et ce qui ne nous convient pas. Il n'est d'autre volonté et d'autres intérêts que les nôtres et nous ne sommes pas prêts à nous en remettre à d'autres pour les définir à notre place ni encore moins pour les faire valoir et les préserver."
Si nous sommes suffisamment imprégnés de cette expérience pour retenir cette leçon essentielle, y croire dur comme fer et ne pas l'oublier au bout de quelques mois ou quelques années, ne se laissant jamais embobiner par les brillants discours et ne cédant jamais au langage de la force, alors, même si l'on peut ne pas gagner à tous les coups, on ne sera jamais définitivement perdants.
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