Précision

Ce que que vous lisez ici, ce sont mes impressions, parfois à chaud, basées sur ma connaissance de l'histoire du pays, de sa situation présente et sur ma culture générale, toutes étant forcément limitées et, en tout cas, relatives. Ces réflexions n'engagent que ma personne, ne représentent aucun parti ou groupe organisé et ne se rapportent à aucun projet politique établi. Ce sont les simples réflexions d'un citoyen intéressé au devenir de son pays et concerné par le sort de son peuple qui voudrait apporter quelque chose à l'un et à l'autre, mais qui n'a rien d'autre à offrir à part ces cogitations.

Friday, October 21, 2011

Ma campagne électorale : spot 9

Tantôt j'écrivais que l'enseignement était ce que je connaissais le mieux et pour cause ! Outre le fait d'avoir passé la moitié de ma vie à le recevoir  et un quart ou presque de cette même vie à le dispenser (ce qui peut ne pas être exceptionnel en soi), comme je l'ai expliqué ailleurs dans ce blog, c'est à l'enseignement que je dois absolument tout de ce que je suis et j'ai aujourd'hui et, croyez-moi, c'est loin d'être négligeable quand on sait ce que j'étais et j'avais au départ ! Or, en bon élève, au cas où je n'aurais pas su être un bon enseignant, je n'ai pas eu de mal à comprendre la leçon et à réaliser ce que l'enseignement peut apporter à l'homme ou ne pas lui apporter suivant la manière dont il est organisé et dispensé et selon le "contenu" qu'il véhicule. Une grande partie des maux de la Tunisie d'aujourd'hui trouve son explication, dans une large mesure, dans la nature de son enseignement. Le chômage qui a atteint des proportions effrayantes et pris un caractère chronique, l’oppression dans sa forme la plus abjecte subie si longtemps, la sclérose des esprits, la pauvreté de la pensée quand il ne s'agit pas d'absence totale de réflexion, l'égoïsme, le manque de civisme... Tout cela et bien plus est le fruit du type d'enseignement qu'on s'est donné ou plutôt qu'on a bien voulu nous donner.
Avec l'émancipation de la femme, la démocratisation de l'enseignement a été le cheval de bataille de choix du jeune état indépendant de la fin des années cinquante et du début des années soixante. Je me souviens encore de ces années où, encore jeune enfant, j'entendais Bourguiba s'enorgueillir de dédier le tiers du budget de l'état à l'enseignement sans vraiment comprendre la signification d'une telle affirmation. La place, alors, accordée à l'enseignement se répercutait sur le sort de ses heureux bénéficiaires, mais aussi sur le statut social de ceux qui le dispensaient. Souvent aussi bien que le patrimoine hérité des ancêtres, parfois même encore mieux, il constituait le meilleur facteur de promotion économique et d’ascension sociale. Cest parmi les enseignants que se recrutait la majorité des hauts dignitaires de l'état (les Messaâdi, Klibi, Ben Salah, Mzali...). Respectés et adulés par la société, ces derniers le lui rendaient bien par l'intermédiaire de ses enfants. L'instituteur comme le directeur d'école primaire était une sorte de parrain qui assumait les fonctions morales et matérielles de celui qui porte ce titre dans les sociétés de confession chrétienne. Elève, certes, brillant, mais mal-voyant et d'extraction modeste, je me souviens encore de Si Ali Abdeljawwwad, le directeur de mon école primaire, m'emmenant chez l'ophtalmologue pour voir si l'on pouvait encore faire quelque chose pour sauver mon œil partiellement sain, m'achetant médicaments et livres scolaires, m'emmenant à l'école des aveugles où l'on pourrait "mieux s'occuper de moi et me soigner". Il m'a accompagné de l'âge de sept à douze ans. Comme tous les autres élèves, je l'appelais "Sidi" = mon maître. J'ai continué de l'appeler ainsi jusqu'à la dernière fois à laquelle je l'ai vu vivant, vieilli et affaibli, mais toujours digne. J'avais trente ans !
Il ne s'agit pas de dépeindre une image idyllique, pas plus que de ressasser des souvenirs nostalgiques, mais seulement de montrer l'importance de la place qu'occupait  l'enseignement et de son influence sur la vie des tunisiens dans les premières décennies qui suivirent l'indépendance. D’ailleurs, ses succès doivent être relativisés. Les taux de rejet et d'échec scolaire demeuraient importants ; il n'était pas donné à tous les élèves pauvres et handicapés de réussir des études brillantes et, surtout, de les mener jusqu'au bout et d'accèder par là à une condition supérieure à celle d'origine. Néanmoins, le niveau atteint à cette époque par l'enseignement en termes de qualité et d'efficacité de la formation à la vie professionnelle et intellectuelle demeure à ce jour inégalé, surtout quand on compare les données avec celles obtenues depuis le début des années 90. Bien sûr, les chiffres, surtout les pourcentages de réussite aux examens nationaux et aux différents diplômes de fin d'études et la durée de la fréquentation scolaire semblent dire le contraire. Seulement, le paradoxe n'est qu'apparent, ces chiffres exceptionnellement élevés par rapport à ce qu'on avait auparavant et à ce qu'on pouvait attendre du système éducatif d'un pays comme la Tunisie ont été sciemment "boostés" pour satisfaire aux normes de rentabilité et d'efficacité établis par les institutions financières internationales, en supprimant le redoublement jusqu'à la neuvième année de l'enseignement de base, en supprimant les concours d'entrée au secondaire puis au collège, en prenant en considération la moyenne obtenue en cours d'année à hauteur de 25% dans la détermination des résultats de l'examen du baccalauréat, en ajoutant des options-bonus (hors-coefficients) à cet examen et en donnant des consignes de magnanimité aux examinateurs à tous les niveaux...
Pour rendre à César ce qui lui revient, il ne faut surtout pas croire que la dégradation de l'enseignement a coïncidé avec l'arrivée de Ben Ali au pouvoir. Loin s'en faut. Si les premiers signes d'une sensible dégradation, voire d'une véritable crise ne sont devenus clairement visibles qu’à partir de la deuxième moitié des années 80, ce n'était là, en réalité, que l'aboutissement d'un long processus entamé depuis le début des années 70 sous l'impulsion d'un triple facteur politique, économique et démographique. D'abord, avec la page tournée de l'ère dite socialiste et l'installation de la doctrine libérale au pouvoir, il n'était plus question de dépenser sans compter pour l'enseignement, d'autant qu'on commençait à assister aux prémices de la saturation des capacités d'emploi de l'état jusque là demeuré demandeur de jeunes cadres diplômés. D'autre part, avec le boom démographique, il allait être de toutes façons difficile de maintenir la même politique de scolarisation massive de qualité. Mais, il y avait une troisième série de considération à entrer en jeu. Après la première vague de contestation politique et la vague de répression et de procès qui s'ensuivirent, Bourguiba devait revoir ses idéaux et ses ambitions concernant la fonction et le contenu de l’enseignement. Il n'était plus indispensable ni même souhaitable d'en faire un instrument de promotion intellectuelle et d'éducation et d'ouverture à la modernité et au rationalisme, à partir du moment ou cela débouchait sur une remise en cause de son pouvoir et de sa légitimité. Déjà au milieu des années 70, on commençait par supprimer la philosophie des programmes de l'avant dernière année de l'enseignement secondaire, des thèmes sensibles à coloration très politique étaient évacués et bientôt toute la matière allait être arabisée avec l'assistance de... l'Irak de Saddam Husein (qui fournissait les manuels). Pire, une nouvelle drôle de matière allait être introduite sous le libellé qui se passe de tout commentaire de "philosophie/pensée islamique". C'est à cette époque que les premiers activistes islamistes faisaient leur apparition...
Au niveau de l'enseignement, des langues, on commença par évacuer  de l'enseignement du français l'autre volet des humanités qu'est l'enseignement des classiques de la littérature que venait supplanter en un premier temps un enseignement à "thèmes" puis à "modules" avant que le français ne disparaisse à son tour des programmes du bac et qu'il ne soit ramené dans les autres classes au statut de "langue véhiculaire" (sic) pour l'apprentissage des sciences et techniques qu'on se mit d'ailleurs à enseigner en arabe ! Le plus drôle, c'est que cette vague d'arabisation ne devait même pas se faire dans une optique de coordination et de standardisation (notamment terminologique) avec ce qui se faisait dans les autres pays arabes ayant opté pour un enseignement arabisé avant nous (Syrie, Lybie, Irak..). Bien au contraire, on tenait à mettre en place une terminologie tunisienne, de sorte qu'on allait former des élèves coupés de cette fenête sur l'occident qu'aura été la France jusqu'alors, mais pas pour autant plus proche de leur environnement immédiat arabo-musulman. L'essentiel était de neutraliser tout effort de formation mentale et toute velléité de pensée et de formation de l'esprit critique. Et l'on y réussit de belle manière ! A partir d'une certaine époque, l'apprenant tunisien devenait une sorte d'analphabète bilingue (pour paraphraser la fameuse anecdote sur Ben Jedid).
D'autre part, les enseignants ont été des plus actifs avec les travailleurs du textile, les employés du transport et du secteur bancaire lors de la poussée des revendications et de l'activisme en un premier temps syndical puis de plus en plus ouvertement politique au cours de la deuxième moitié des années 70 jusqu'à la conflagration de janvier 78. Pour les neutraliser, on les encouragea à s'embourber dans une nouvelle dynamique de revendications à caractère purement économique tout en mettant insidieusement en place un système favorable aux cours particuliers rémunérés par les parents, d'abord au sein des établissements scolaires puis dans des espaces privés (chez l'enseignant ou l'apprenant), de manière à laisser les contribuables remplacer l'état pour la rémunération directe du corps enseignant dont le pouvoir d'achat déclinait résolument et le statut social se dégradait à vue d’œil. D'abord limité à certaines disciplines scientifiques (maths, physique)  et aux classes terminales, le système allait petit à petit se généraliser jusqu'à toucher toutes les disciplines (y compris l'éducation physique !) et tous les niveaux à partir de la première année primaire. Il finit par se transformer en un racket organisé auquel aucun élève ne devait échapper, même les plus brillants et/ou les plus démunis.
Les dernières décennies allaient être marquées par deux phénomènes supplémentaires étroitement liés aux précédents : la succession des "réformes" à un rythme effréné, sans qu'aucune d'elles ne soit mûrement réfléchie et motivée, ne dure assez longtemps ni ne soit adéquatement évaluée avant d'être abandonnée pour une autre réforme, et l'installation progressive d'un système scolaire basé sur le bourrage de crâne qui, au lieu d’apprendre à l'élève les compétences de base et la maîtrise des outils essentiels à l'acquisition de l'information, s'ingéniait à lui inculquer une quantité incroyable d'informations tout aussi inutiles qu'impossibles à retenir à long terme, à une époque où l'on n'a justement plus besoin d'emmagasiner les informations dont le volume est devenu trop important et qui sont disponibles et accessibles à tout moment qu'il importe plutôt de savoir les trouver, les déchiffrer, les classer, les évaluer et les exploiter.
Pour compléter le tableau, faut-il ajouter qu'on a depuis longtemps totalement dévalorisé puis négligé l'enseignement professionnel et même les filières longues dites "techniques" et outrageusement privilégié l'enseignement des sciences au détriment du littéraire et jusuq'à l'économique en partant d'une dichotomie absurde. Même l'ancien colon qui était censé nous servir de modèle de référence dans nos réformes successives avait, pourtant, échappé à une telle aberration !
Quoi de surprenant si l'on se retrouve aujourd'hui avec des centaines de milliers de diplômés dont les diplômes ne valent pas grand chose, impossibles à placer autant pour des raisons de nombre que de qualité (quoiqu'on puisse penser, c'est là que réside le véritable problème du chômage des diplômés aujourd'hui, le caractère vicié et fortement corrompu du système des concours du genre CAPES n'étant qu'une complication supplémentaire dont l'effet de solution sur le fond du problème sera nul ou presque, que ces scories soient éliminées ou maintenues). En clair, on ne peut raisonnablement résoudre le problème des chômeurs à col blanc par la création massive d'emplois dans une fonction publique qui est déjà bien fournie, d'une part parce que la solution n'est pas économiquement tenable, mais également parce que ces diplômés sont sous-qualifiés, notamment pour l'enseignement auquel une grande partie d'entre eux étaient, en théorie, naturellement destinés de par leur formation dans des disciplines de type scolaire (langues, histoire-géographie, philosophie, sciences naturelles, "sciences religieuses"...).
Désolé de devoir déclarer tout de suite que je ne possède pas de sortie miracle de cette sale impasse (véritable goulot d’étranglement d'un cocktail Molotov). Je ne peux que réfléchir à des pistes possibles avec d'autres. Par contre,je sais qu'il est grand temps de faire le ménage dans ce qui est devenu un véritable  bourbier éducatif. Le plus tôt sera le mieux ! Là, ce ne sont pas les idées et les propositions qui manquent et c'est ce que je me propose de faire dans le second volet de ce dernier spot qui s'est trop allongé.

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